Le tableau de Paris de Rifā‘a al-Ṭahṭāwī
On trouve aussi, sous sa plume, des observations morales sur les us et coutumes des citadins. Ainsi peut-on déceler dans ses remarques sur les
Parisiennes les premières traces de son attention plus tardive à la condition féminine. S’il voit dans les rapports de genre en France un véritable système d’esclavage des hommes par les femmes, il est sensible à l’autonomie intellectuelle des individus, hommes comme femmes. Les critiques d’ordre religieux qu’il émet ne sont que de peu d’importance – les Français n’étant après tout pas musulmans – au regard de la « communauté morale » qu’il entrevoit. Si le comportement des hommes vis-à-vis de leurs femmes paraît insensé et indigne à première vue, il s’accompagne pourtant d’un sens de l’honneur qu’al-Ṭahṭāwī juge proche de celui des Arabes. Les deux plans du jugement moral et du jugement religieux sont donc distincts. Cette capacité à distinguer un ordre du spirituel et un ordre du temporel est l’une des caractéristiques de ce qui devient alors la pensée réformatrice musulmane. Elle trouve dans le récit du voyage parisien l’une de ses applications les plus fortes.
Si l’étonnement ou l’émerveillement de Ḥanna à Paris ne se traduisent généralement pas par une opposition entre « eux » et « nous », c’est que lui même ainsi que le lectorat qu’il vise à Alep sont beaucoup plus connectés à la France de Louis XIV qu’on ne l’imagine. Avant son départ, il a travaillé pour des marchands provençaux installés au Levant. Il y a appris le français, et s’y est familiarisé avec l’art de vivre en usage dans les réseaux « francs » du négoce et qu’il retrouve pendant son périple. Quand il arrive à Paris, il n’est pas le seul Syrien dans la capitale française. Les Orientaux chrétiens sont alors assez nombreux à se rendre en Europe occidentale, soit pour collecter des aumônes au prétexte plus ou moins avéré d’avoir subi des persécutions de la part des « Turcs » à cause de leur religion, soit dans la perspective d’y faire carrière, notamment grâce à leur maîtrise des langues orientales.
Après le scandale suscité par le calendrier fautif, il s’agit d’avoir un calendrier exact, qui garantisse aux souverains mandchous la légitimité accordée en Chine à une dynastie investie du « mandat céleste ». Ce souci, autant que la curiosité, pousse l’empereur à étudier les sciences occidentales – ce qu’il entreprend peu après s’être enfin affranchi de la régence. Verbiest les lui enseigne. Par son entremise, « toutes les sciences mathématiques présentent à l’empereur un spécimen de leur talent ». Ces spécimens sont souvent des dispositifs techniques, dont certains jouent un rôle essentiel dans l’assise durable du pouvoir mandchou en Chine. Ainsi, de nouveaux instruments astronomiques sont fabriqués sur le modèle de ceux du célèbre astronome Tycho Brahe (1546-1601) pour l’Observatoire impérial, où ils se trouvent encore aujourd’hui. Outre sa place dans la fonction publique, le jésuite demeure professeur et ingénieur de cour jusqu’à sa mort, en 1688.