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Critique de LadyDoubleH


« Certes Samuel Beckett a bien existé, certes il a fini ses jours dans une maison de retraite nommée le Tiers-Temps, à Paris où il vivait exilé depuis un demi-siècle. Pourtant ce livre est un roman. Mon entreprise n'est pas biographique. Elle a consisté à faire de Beckett, à partir de fait réels et imaginaires, un personnage face à sa fin, semblable à ceux qui peuplent son oeuvre. » (Maylis Besserie)

Alors autant j'ai sauté de joie chez mon libraire en reconnaissant le visage de Beckett sur la jaquette de couverture, autant j'ai aussi gémi intérieurement en découvrant de quoi il retournait. Un peu soupé quand même des biographies romancées, des exofictions, comme on dit aujourd'hui. Surtout sur Beckett. Damned. J'ai une vénération pour Samuel Beckett. Beau comme un dieu, l'archange du désespoir. Et donc – ceci expliquant sans doute cela – cette lecture m'a posé problème au début. Que quelqu'un qui ne l'a pas connu le fasse penser et parler. L'incarne à ce point, dans l'intimité. Franchement, ça ne passait tellement pas que j'ai mis le livre de côté.

En plus, cette petite anecdote n'a rien fait pour arranger mes réticences : page 25, nous sommes le 29 juillet 1989 et Beckett s'exprime ainsi : « Quand je suis à ma table, autour de dix-huit heures, je contemple la lune, si le ciel est sans nuages. La nuit se pose sur moi, comme au bord du lac de Glendalough ». Pardon ? La nuit à 18h en juillet à Paris ? C'te blague. J'ai failli marcher sur ma mâchoire, vu l'erreur. Ou comment nous faire sortir avec violence de l'histoire. Après coup, quand même, je me suis demandé si cela n'était pas fait exprès, justement, comme un rappel au lecteur qu'il ne s'agit pas là de la vérité, que ce livre reste un roman. C'est vraiment bizarre en tous cas. Enfin bref.

Quelques semaines plus tard, je me suis décidée à reprendre le Tiers-Temps depuis le début, motivée pour aller au-delà de mes préjugés, et cette fois terminer le livre.

« Il faut dire que les taiseux dont je suis ont, en général, une propension incroyable à se trouver face à des individus dont l'art a ceci de particulier qu'il consiste à dire très peu avec un nombre incalculable de mots. »

Et la magie a opéré. Ma lecture avançant, sans même m'en rendre compte, j'ai arrêté de grincer des dents. Captivée. La plume de Maylis Besserie est remarquable et son ton très juste. Elle connaît certainement bien le grand homme, ses biographies sont nombreuses et sa correspondance, volumineuse. En tous cas, non seulement les lieux et certains événements sont réels, mais surtout, surtout ! On retrouve vraiment Beckett entre les lignes, pour ceux qui l'ont un peu fréquenté dans son oeuvre. Il est là. Dans les silences et son humour caustique, dans le rythme et le sens, l'ironie et l'étincelle. C'est comme si on l'avait devant nous. Et c'est tellement, tellement, poignant.

La narration alterne entre les pensées élastiques et butinantes de Beckett et sa routine au Tiers-Temps. Bribes de vie – son amitié avec Joyce, sa femme Suzanne, le coup de couteau qui l'a cloué à l'hôpital en 1938, sa complicité avec son éditeur, sa maison à Ussy –, réflexions, bulletins de santé. Les dernières semaines d'un vieil homme ; lui observe la vie, ses souvenirs et son quotidien, d'un même esprit, tandis que Maylis Besserie l'entoure d'une admiration pleine de tendresse.

Et donc, malgré toutes mes préventions, je dois admettre que j'ai profondément aimé ce livre. Il est même carrément brillant, dans le regard qu'il offre sur la fin de vie et toute l'émotion qu'il déploie.

« Je rassemble les dernières cellules valides de mon esprit rabougri. Travail laborieux : deux lignes, tout au plus, les jours de grand vent. J'avance si lentement que j'ai le sentiment d'avoir arrêté. D'ailleurs, conformément aux règles de la physique, il est probable qu'à force de ralentir je m'arrête. Que j'en finisse avec les mots ou eux avec moi. »
Lien : https://lettresdirlandeetdai..
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