".....un type qui ne croyait en rien. Qui était arrivé dans l'existence par accident, resté par négligence. Qui avait fait mine d'oublier la solitude à laquelle il était condamné depuis qu'il avait raté sa venue au monde. Lui qui flottait parmi les hommes, pas tout à fait né, pas tout à fait mort. Lui qui, plus seul qu'un rat, souhaitait l'être au-delà de tout." le type en question est
Samuel Beckett, pour qui ne le connaîtrait pas, dramaturge, maître de la langue et de l'absurde, dont le fameux "
En attendant Godot" .
Maylis Besserie relève le défi de le rencontrer dans ses derniers jours dans une maison de retraite "
Le Tiers Temps", alors qu'il est presque devenu un des personnages de son propre oeuvre fictif, "....comment en suis-je arrivé là ? Comment l'existence m'a-t-elle mené, de manière si fourbe, à devenir l'un de ses charlots ? L'un de mes charlots. L'un de mes délires. L'un de mes cauchemars. Samy-clochard, tête penchée dans la soupe, peu de dents. le Lucky de Pozzo, n'attendant plus grand-chose."
Dans cette maison de retraite où il est traité comme un enfant il se souvient de son enfance en Irlande, de sa mère May avec laquelle il eut des relations difficiles, de sa compagne Suzanne, de Joyce et de sa fille Lucy, de la guerre, de sa femme de ménage Mme Alphonsine, de ses lendemains de Jameson 🙃, de ses personnages ......toute une vie y passe, émouvant.
Besserie a relevé un défi assez compliqué en s'attaquant à ce géant de la Littérature, qu'elle n'a finalement jamais connu, mais dont elle connait bien l'oeuvre et la vie. Étant productrice de documentaires sur France Culture, elle lui a consacré de nombreuses émissions. Ici aucun pastiche de
Beckett, une prose simple, d'un rythme très agréable où elle joue sur la longueur des phrases et sur l'humour qui nous donne des passages truculents, dont celui où
Beckett imagine une dame en bleue, au troisième rang du spectacle de sa pièce "En attend Godot " où il ne se passe rien, qui s'ennuyant à mourir se met à songer, remède contre l'ennui. "En attendant, je veux dire en attendant que la pièce se passe, à quoi pensait-elle?...". Celles ou ceux qui ont lu la biographie de
Beckett par son ami
James Knowlson, apprécieront d'autant plus ce passage qui reflète bien la personnalité du grand Sam.
Un livre sur la vieillesse, une vieillesse vécue tout en étant conscient de la décrépitude du corps, des sens, du cerveau qui nous fait essuyer de nombreuses petites humiliations. Un sujet douloureux allégé par le personnage de
Beckett qui évitant de le prendre au sérieux, s'amuse avec l'autodérision , "Finissez d'entrer" dit-il à son éditeur qui ahuri regarde au seuil de sa chambre la séance de coupe de cheveux ,"spectacle pitoyable du vieux mâle renonçant à sa crinière ".
Ce livre a gagné le Goncourt du premier roman 2020. Pour être franche, moi et le Goncourt, premier roman ou non nous ne faisons pas bonne
compagnie, mais ce livre je l'ai beaucoup aimé, surtout que j'aime énormément
Beckett, l'homme et son oeuvre. Un très bel hommage à un des plus grands écrivains du XX iéme siècle !
Un grand bravo à
Maylis Besserie !