Faisons le point Utérus chéri. Pas un mot d'Emilie aux infos. Pas un signe de vous non plus. Vérifions encore. J'allume la télé. Je zappe de chaîne en chaîne dans l'espoir de trouver une image ou un son qui me parlerait de vous, d'Emilie, de Melle Bokassa, pourquoi pas. Rien, nulle part. Même CNN International tourne en boucle autour de son nombril. Comme la Lune autour de la Terre. Comme la Terre autour du Soleil. CNN est le centre de l'univers. Revoilà les tours jumelles. Nidale regarde les images d'un oeil las. On les a vu mille fois. Mille fois trois mille morts : trois millions de victimes : un génocide. Sans précédent dans toute l'histoire de l'humanité.
Invités à manger quelques brochettes de viande avec du riz, Waura et moi refusons. Nos estomacs sont tiraillés par la faim mais nous sommes trop pressés de retrouver votre chambre pour prendre le temps de dîner. On prétexte la fatique alors que le soleil n'est pas couché. Oui, nous brûlons d'impatience de rejoindre votre passé. la Vieille nous confie une lampe Butagaz, et bonne nuit les petits.
Enfin seuls.
Enfin seuls avec votre mémoire : Waura cherche sous le lit, je cherche sous le matelas. On y trouvera peut-être une photo ou un bout de papier.
Non. Rien. Pas même un cafard crevé.
Dodo.
Cette nuit-là, notre première nuit dans votre lit, nous ne dormons pas.
Chacun tourné de son côté, nous gardons l'oeil ouvert et la narine aux aguets : chaque seconde qui passe, on renifle votre matelas, cherchant votre odeur, le parfum d'une goutte de sueur, de lait ou de colostrum qui serait restée là prisonnière des fibres. Mais votre odeur se confond avec celle du moisi, cette odeur de pluie mal séchée par un soleil délavé. Un grand cru, cette année 1965.