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Critique de KateMoore


« Elle » a tué son mari à qui ses parents l'ont mariée de force.

Elle vivait un enfer quotidien avec cet homme : humiliations physiques (les coups donnés sans que cela ne marqua la peau), humiliations psychiques (quand il était là, son seul domaine était la cuisine), humiliations sexuelles (les relations sexuelles servaient exclusivement à la procréation).

« Dès la première nuit, dès la première bouffée de haine, j'ai souhaité sa mort. J'en ai rêvé. Oui, des centaines de fois, j'ai rêvé pour lui un attentat terroriste, un accident quelconque, des mauvaises rencontres, une maladie incurable assortie d'une longue et douloureuse agonie. J'ai souhaité de toutes mes forces qu'il rôtisse en enfer, lui, l'homme pieux toujours prêt à exhiber sa foi et qui avait pris à la lettre le verset dans lequel il est dit qu'un homme se doit de corriger son épouse s'il considère qu'elle se montre récalcitrante. » (page 55).

Mais « elle » n'en peut plus et passe à l'acte. Elle est arrêtée et écope de quinze ans de prison. Elle accomplira sa peine dans une cellule trop petite pour sept à huit femmes, condamnées elles aussi pour des peines plus ou moins lourdes.
Cet enfermement, « elle » va le vivre, paradoxalement, comme une liberté qu'elle n'a jamais connue. L'homme, non plus, n'est plus là, châtié comme il se doit.
L'écriture va la sauver une première fois, en prison. Elle devient « écrivain public » pour ses co-détenues. Elle gagne leur confiance. Il s'agit aussi de sa survie physique, de ne plus être astreinte aux corvées les plus dures, les plus dégradantes…..

Depuis quelques paragraphes, je n'utilise pas de prénom pour nommer « elle ». Ce n'est pas un hasard ou une lubie de Maïssa Bey, l'auteur. Celle-ci nous explique que « par l'acte que j'ai commis, j'ai effacé mon identité et le prénom que mes parents ont choisi pour moi le jour de ma naissance. » (page 18). Une humiliation de plus qu' « elle » subit, après toutes les autres.

Quinze ans sont passés. Elle retrouve son appartement grâce à son père et à son petit frère.
Elle vivote. Ses seules sorties sont pour faire des courses à 500 mètres du logement.
Elle essaie de se reconstruire mais n'y arrive pas vraiment.

C'est alors que surgit dans sa vie Farida. Elle se présente comme chercheur, écrivain… Elle la contacte pour entendre son histoire et en faire, peut-être, un roman. « Elle » accepte.
Avec ces rendez-vous, ces échanges avec Farida, « elle » se libère, enfin, par la parole mais surtout, encore, par l'écriture.
A partir de là, « elle » va tenir un journal et chaque jour sera consacré à écrire une lettre à l'écrivain, où « elle » se livre sans retenue.

« Nos conversations me laissaient un goût d'inachevé. Je voulais aller plus loin. J'ai compris, en revenant à mes carnets chaque soir, que l'écriture libère bien plus que la parole. » (page 233).

Maïssa Bey dans « Nulle autre voix » se fait la porte-parole de toutes ces femmes algériennes qui subissent, quotidiennement, les violences ordinaires d'une société ne pardonnant rien aux femmes.

« Pour moi, la première violence est de s'arroger le droit de disposer de l'autre. du corps de l'autre. Au nom d'une supériorité légitimée par la naissance, le sexe, l'argent, la position sociale ou encore par des lois humaines ou divines. » (page 200).

Très tôt, les enfants connaissent le rang qu'ils auront à tenir adultes dans la société. Les filles deviendront des épouses soumises, enfermées dans le carcan de leur foyer. Elles devront obéir à leur mari en toutes circonstances. Elles n'auront aucune autre issue.
Elles pourront faire des études, travailler mais elles resteront toujours sous la tutelle des hommes. Tout est apparence. Il est très important que tout reste dans le giron familial et marital.

« Le visible et le caché. Deux socles sur lesquels repose la société. Ce qui ne se voit pas n'existe pas et ne peut donc pas être répréhensible. » (page 148).

Un autre sujet que traite Maïssa Bey dans son livre est la prison. Elle décrit longuement comment cela fonctionne (les passe-droits…). La violence y est aussi présente.
Après être sorti de prison physiquement, celle-ci reste à jamais dans la tête, dans les gestes, les attitudes. On ne sort pas totalement de cet autre enfermement. Celui-ci, aussi, vous colle à la peau pour la vie.

« Les murs de la prison me séparent toujours du monde. Ils sont dans ma tête. Rien ne pourra venir à bout de cette forteresse mentale. Pas seulement mentale d'ailleurs…. Je m'aperçois maintenant que, quoi que j'aie pu vous raconter sur ces lieux, je ne crois pas avoir réussi à en restituer l'atmosphère sordide jusqu'à l'odeur de remugle et de graillon qui continue d'imprégner les narines, longtemps après que l'on en est sorti. » (pages 101-102).

Enfin, l'écriture de Maïssa Bey est très importante pour donner chair à ses personnages féminins. Son écriture peut être tout en douceur, comme elle peut être crue. Elle peut être tout en nuance et quelques mots après violente, avec des phrases assénées comme des claques.

En quatrième de couverture, la journaliste Marina da Silva écrit dans « Le Monde diplomatique » : « Le lecteur qui ne connaît pas encore Maïssa Bey à beaucoup de chance… Il va découvrir une écriture solaire dans tous ses éclats, entre ombre et lumière, caresse et brûlure. »

La journaliste a bien résumé ce que j'ai ressenti dans ce livre et pour ce livre. Maïssa Bey est un écrivain qui ne laisse pas indifférent.
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