Fidélité. Dévouement. Sacrifice. Exemple. Courage.
Ah ! Ces mots fort respectables qui se tiennent droit! Ils se pavanent, salués et célébrés par tous. Une vie de femme ne peut trouver de sens que dans le souci des autres et le sacrifice de soi.
Pour moi, la première violence est de s'arroger le droit de disposer de l'autre.
Du corps de l'autre. Au nom d'une supériorité légitimée par la naissance, le sexe, l'argent, la position sociale ou encore par des lois humaines ou divines.
Quelques jours après que nous avons emménagé dans cet appartement, je m'apprêtais à m'asseoir avec lui dans le salon. Nous avions fini de dîner. J'avais fait la vaisselle et fini les rangements dans la cuisine. Sans même se retourner, il m'a demandé de quitter le salon. Tu n'as rien d'autre à faire ? Sors d'ici ! Et j'ai obtempéré. Sans demander d'explications. Je suis retournée à ma place - la cuisine. J'y ai passé le reste de la soirée. Sans même oser retourner dans le salon pour y prendre un livre.
J'avais deux frères. L'aîné, Abdelhak, est mort. Assassiné dans un faux barrage au milieu des années quatre-vingt-dix. Comme des milliers d'autres citoyens de ce pays. Je n'ai pas envie de m'étendre sur le sujet. Je n'ai pas envie de rouvrir la plaie. Cela s'est passé pendant la période la plus meurtrière de cette décennie de terreur et de violences dont l'évocation reste difficilement supportable.
Amine, le petit frère, ne s'est jamais remis de cette disparition. Il avait douze ans lors des faits.
Ce sont des mains de femme.
Ce sont des mains qui ont donné la mort.
Ce sont des mains tachées de sang. A jamais.
Ce sont des mains qui un jour ont saisi un couteau.
Pas pour découper la volaille ou éplucher des légumes.
Ce sont des mains qui ont planté un couteau dans un corps d'homme. Par trois fois.
L'écriture m'a sauvée. J'écris pour ma survie
quand je tardais à rentrer, elle m'attendait debout derrière la porte p 23
D'abord cela :
Il faut que je lui dise, et qu'elle le comprenne même si cela peut lui sembler paradoxal : ce n'est pas l'enfermement qui m'a privée de liberté.
Quand les portes de la prison se sont refermées sur moi, je me suis brusquement sentie... comment dire ? délivrée. C'est le seul mot qui me vienne à l'esprit.
Délivrée.
C'était fini. Il n'était plus.
Malgré l'appréhension des jours à venir, il y avait en moi une sorte de jubilation. La jubilation des premières fois. Il était là cet "enfin-libre" que je n'osais plus espérer.
J'avais infléchi le cours du destin.
Criminalité féminine. Il paraît que ces deux mots ont du mal à se côtoyer, à tenir debout ensemble. Il y a comme une discordance. Les femmes ne tuent pas. Elles donnent la vie. C'est même leur principale fonction : génitrices. Toute tentative de sortir de ce schéma fait d'elles des monstres. Des monstres de cruauté et d'insensibilité. Des femmes hors normes.
J'ai choisi librement de m'enfermer. La solitude est mon lot mais surtout un bien chèrement acquis dont je ne me lasse pas.