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Critique de afriqueah


Le peintre Pontormo a été tué, ce qui, pour un thriller, n'a rien d'original. Dans la Florence de Cosimo de Médicis, d'ailleurs, tout le monde s'en fout.
Pour la forme, et sans perspective de résolution, ce dernier charge Vasari, le père de l'histoire de l'art, d'élucider, non pas le meurtre mais le lieu où se trouve un dernier tableau du peintre : Cupidon et Vénus, déjà peint par Michel-Ange, donc presque recopié (je sais, c'est pas beau de copier) sauf le petit pied de Cupidon ce gredin, juste sur le sexe de Vénus. Et, surtout, la tête de Marie de Médicis, peinte sur la gorge de Vénus dont elle n'a rien à envier, de toute façon, côté s'envoyer en l'air. Non, non, cette Marie délurée n'est pas celle qui fut reine de France, c'est la fille de Cosimo, ou Cosme 1er, duc de Florence.
Scandale en vue, puisque l'inquisition a mis fin aux années de licence où les nus ne choquaient pas. Les lettres s'échangent bon train, entre les peintres, Michel-Ange et Vasari, qui reproche à Pontormo de ne pas tenir compte de la perspective. Eh oui, la perspective, découverte pas Brunelleschi, l'architecte du génial dôme de Santa Maria del Fiore de Florence, peint par Vasari.
Vasari en rajoute une couche : la fresque endommagée avant le meurtre était atroce. Il ne se réjouit pas du tout de la mort de ce mauvais peintre, n'est-ce pas, il note, tout simplement, d'ailleurs, c'est son job.
Maria, dont la tête remplace celle de Vénus, écrit à sa tante Catherine de Médicis, reine de France, pour lui dévoiler ce qui l'est de toute façon. Cette dernière, obligée (si tant est que beaucoup de femmes choisissent) de vivre en polygamie avec Diane de Poitiers, délaissée par son époux le roi Henri II en faveur de sa « putain » (dixit la reine), et par ailleurs voulant affaiblir son cousin Cosme, demande à Piero Strozzi, son autre cousin, de s'emparer du tableau… pour le diffuser à partir de Venise dans toute l'Italie.
Car elle hait ce Cosme qui prétend s'emparer de la Toscane, faisant ainsi de l'ombre au pouvoir de Philippe II d'Espagne, fils de Charles Quint, et de Henri II de France, fils de François 1er.

La mort de ce mauvais peintre n'est pas seulement sans intérêt : elle apparait aussi comme plus que souhaitable, y compris par les âmes pieuses : les soeurs du couvent San Vincenzo se réjouissent de la mort du sodomite, et de plus protestant. Nous, lecteurs, comprenons bien que ces deux tares rendent gloire à l'assassin (que personne ne recherche) et, subsidiairement, à Dieu. Éléonore de Tolède, épouse de Cosme, prude comme une espagnole, puisqu'elle l'est, écrit au pape «  la mort providentielle, (de Pontorno) certes advenue dans des circonstances regrettables »
Circonstances regrettables ! Sa fille ! si le tableau honteux apparaissait, le mariage de Maria avec le fils du duc de Ferrare pourrait être remis en cause. Elle sait parfaitement que ce rejeton a très mauvaise réputation, « castrat doublé d'une brute » reconnait-elle, mais il faut vendre.
Pour Catherine de Médicis, le sort donné à cette idiote constitue une aubaine, et subtilement elle lui présente la condition des femmes à la manière islamiste : « Vous souffrirez en silence les caprices de votre maitre, ses emportements et ses infidélités, et si dieu le veut, il vous traitera bien, quoique ce qu'on me dit du caractère du jeune prince ne m'incline pas trop en faveur de cette hypothèse. »
En termes clairs, faites des folies de votre corps au lieu de vous enterrer dans le mariage. Ce que Maria, fera, se précipitant dans une histoire d'amour avec un page, jusqu'à être enceinte.
Autre scandale en vue.
Et Vasari commente : « Quant à la fille, je crois comprendre que le trésor de sa virginité n'est plus à prendre, ce qui, en un sens, lui ôte un poids, en même temps qu'une partie de sa valeur. »

Si ce roman, sous forme de lettres cyniques écrites de l'un à l'autre, se bornait à nous donner un aperçu de la vie à Florence, à nous faire sourire devant les ragots et les hypocrisies multiples, à nous faire peur avec les trois puissances prêtes à entrer en guerre pour le pouvoir, sans compter le pape pro inquisition « ennemi juré des protestant, des juifs, des artistes et des livres » qui se rapproche de l'Espagne, et retient Michel-Ange prisonnier à Rome pour terminer la chapelle Sixtine, je crois que nous n'aurions compris qu'un dixième du message de Laurent Binet.
Car l'auteur, avec une connaissance parfaite de la Florence de 1557, évoque le concile tenu à Trente , où il s'agissait de se dédouaner des thèses de Luther, la crue de l'Arno, l'importance de la perspective, qui, pour Michel-Ange, en donnant de la profondeur, ouvre les portes de l'infini, ce qu'aucun prêtre ne peut prétendre. On peut « voir au-delà » grâce à la perspective.
N'oublions pas le « s » du titre, les points de vue différents à la faveur d'un meurtre, sur la religion protestante, sur l'art en général, et sur Florence après la fin du Moyen-âge.
Et l'humour toujours présent.
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