Laurent Binet, écrivain et ancien professeur de français revient sur le poids de l'administration et la façon dont on traite les "profs" aujourd'hui qui relève de "la maltraitance". Il évoque les choix politiques qui pèsent sur l'école et altèrent la qualité de l'enseignement. Il déplore le fait que l'école privée bénéficie de "sommes énormes" en comparaison à ce qui est donné à l'enseignement public. Dans le public, il décrit un système de mutation "atroce", des profs "mal payés". Cet enseignement, alors qu'il devrait être une priorité dans un pays républicain, "le vaisseau amiral de notre société" est mis à mal par toutes ces politiques qui se succèdent depuis des années. Une situation qui malheureusement a pour conséquence terrible d'altérer le poids symbolique de l'enseignant et le rend plus vulnérable aux yeux de la société.
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Ceux qui sont morts sont morts, et il leur est bien égal qu'on leur rende hommage. Mais c'est pour nous, les vivants que cela signifie quelque chose. La mémoire n'est d'aucune utilité à ceux qu'elle honore, mais elle sert celui qui s'en sert. Avec elle, je me construis, et avec elle je me console.
La dernière fonction du langage est la fonction "poétique". Elle envisage le langage dans sa dimension esthétique. Les jeux avec la sonorité des mots, les allitérations, assonances, répétitions, effets d'écho ou de rythme, relèvent de cette fonction. On la trouve dans les poèmes, évidemment, mais aussi dans les chansons, dans les titres des journaux, dans les discours oratoires, dans les slogans publicitaires ou politiques. Par exemple, "CRS=SS" utilise la fonction poétique du langage.
De tous les portraits d'Atahualpa faits par le Titien, le plus fameux est sans doute celui peint dans les jardins de l'Alcazar, que l'histoire a retenu sous le titre du Conseil. L'Inca y est représenté en fils du Soleil, ceint de sa couronne écarlate, offrant son meilleur profil (l'artiste ayant pris soin de dissimuler son oreille abîmée pendant la guerre civile avec son frère), un perroquet bleu sur le bras, un bracelet d'or au poignet gauche. Il se tient debout devant une fontaine, sur le rebord de laquelle sont posés des paniers d'oranges et d'avocats. Un chat roux dort à ses pieds. Un serpent est enroulé autour de sa jambe. À l'arrière-plan, des palmiers montent vers le ciel où brillent ensemble le soleil et la lune, cerclés d'or et d'argent. Sur sa tunique d'alpaga, l'empereur a fait broder ses armoiries en fils d'or : on y reconnaît le château de la Castille, les bandes rouge et jaune d'Aragon, un faucon entre deux arbres, ainsi qu'une caravelle mauve découpée dans un soleil couchant, figurant son voyage depuis Cuba. Au centre, cinq têtes de puma sous un arc-en-ciel encadrent un fruit jaune aux pépins rouges, symbole de Grenade et de l'Andalousie.
Pages 203-204, Grasset, 2019.
Je pense à Oscar Wilde, comme d'habitude, c'est toujours la même histoire : " Toute la matinée, j'ai corrigé un texte, pour finalement ne supprimer qu'une virgule. L' après-midi, je l'ai rétablie."
La cité athénienne reposait sur trois piliers : le gymnase, le théâtre et l'école de rhétorique. Nous avons la trace de cette tripartition encore aujourd'hui dans une société du spectacle qui promeut au rang de célébrités trois catégories d'individus : les sportifs, les acteurs ( ou les chanteurs, le théâtre antique ne faisait pas la distinction ) et les hommes politiques.
Puis, un matin, la silhouette de Baracoa, capitale cubaine et carrefour des deux mondes, se découpa dans l'horizon. C'était une ville de palais, de palmiers et de cases en terre, où les chiens parlaient aux perroquets, où les riches marchands venaient vendre leurs esclaves et faire boire leur vin, où l'odeur de fruits inconnus parfumait les rues, où les nobles Taïnos chevauchaient nus leurs pur-sang du Chili, arborant pour seules parures des colliers de perles rouges à dix-huit rangées et des bracelets en écaille de crocodile, où les mendiants eux-mêmes semblaient d'antiques rois déchus, avec des masques et des miroirs de cuivre et d'or sur la tête, où les magasins regorgeaient tellement de marchandises que, le soir venu, des lézards à crête s'aventuraient dans les rues en quête de caisses à éventrer. On y parlait toutes les langues, on y aimait toutes les femmes, on y priait tous les dieux.
Pages 377-378, Grasset, 2019.
« La réponse est devant vous. » L'est, mais comment ? Où étaient ces terres ? À quelle distance ? On dut leur montrer des cartes trouvées sur les bateaux. Atahualpa et ses gens contemplèrent sans comprendre les représentations d'un monde où Cuzco ne figurait pas. Ils étaient incapable de déchiffrer les petits signes inscrits sur le papier. Higuénamota avait appris la langue des envahisseurs quand elle était enfant, mais pas leur système de transcription. Sans doute, s'ils avaient su combien ces cartes étaient fausses, n'auraient-ils jamais consenti à ce saut dans le vide.
Pages 92-93, Grasset, 2019.
Il n'y a rien de plus inconfortable pour quelqu'un qui s'apprête à mentir que d'ignorer le niveau d'information de son interlocuteur.
C’est formidable, ce que peuvent des mots écrits sur du papier.
La reine se souvint d'un marin génois qui souhaitait prouver la rotondité de la terre, et que ses grands-parents Isabelle et Ferdinand avaient envoyé chercher vers l'ouest un chemin jusqu'aux Indes. Il n'était jamais rentré, et personne, par la suite, ne s'était plus risqué à essayer de franchir la mer Océane.
Page 108, Grasset, 2019.