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Critique de 5Arabella


Bjørnstjerne Bjørnson, malgré le prix Nobel de littérature obtenu en 1903, est peu connu et peu publié à l'extérieur de la Norvège, alors qu'il paraît jouir dans ce pays d'une énorme reconnaissance, il semble même considéré par ses compatriotes comme le plus grand auteur national. Il est d'ailleurs l'auteur des paroles de l'hymne norvégien. Auteur prolifique, il s'est adonné à plusieurs genres : poésie, roman, nouvelle et théâtre : il a même été directeur du théâtre de Bergen, où il a pris la suite d'Ibsen. Par ailleurs, il a été très engagé dans la vie sociale et politique de son pays, prenant position dans les débats qui secouaient la société norvégienne, en particulier sur la nature du régime politique à mettre en place, aux relations entre la Norvège et la Suède (les deux pays, même s'ils gardent leur indépendance et votent chacun leurs lois, ont un seul souverain, qui peut limiter certaines décisions nationales). La pièce le roi, qui date de 1871, porte trace de ces débats, ainsi que des interrogations que Bjørnson formule de plus en plus au sujet de la religion.

La pièce a une forme atypique. Elle est composée d'un prologue, de quatre actes, quatre entractes et d'un épilogue. Nous sommes à une époque et dans un endroit indéterminé, qui ressemble toutefois beaucoup aux pays scandinaves de cette fin du XIXe siècle pendant laquelle la pièce a été écrite. le prologue se situe pendant un bal masqué. Tout le monde guette l'arrivée annoncée du roi, on essaie de deviner son déguisement. Il arrive, il tente de séduire une jeune femme qui repousse ses avances. Survient le premier entracte, qui comme les suivants, se passe dans le monde des esprits, il est accompagné d'un choeur, à la fois métaphorique par rapport à l'action des actes, et introduisant une dimension spirituelle, au-delà des thématiques réalistes de la pièce.

Au premier acte, nous assistons à une assemblée et au vote, au sujet de la forme que doit prendre le futur chemin de fer. Les oppositions entre les conservateurs, fidèle à la royauté, à une certaine vision traditionnelle de la société et de la religion,et les démocrates, qui veulent une évolution, s'inspirant d'un certain nombre de pratiques étrangères, s'expriment, parfois à l'intérieur même des familles.

Le roi est venu, chez Gran, un ami de jeunesse, qui est partagé entre son amitié, et ses opinions démocratiques. Un grand débat s'instaure entre le roi et Flink, un ami de Gran, qui ignore l'identité de son interlocuteur, qui porte sur le régime politique qui serait préférable : une république, ou une monarchie parlementaire. Après le départ de Flink, le roi exprime ses propres doutes sur le fonctionnement actuel et évoque ses envies de réformes. Gran lui promet son aide.

Au deuxième acte, le roi est de retour à la cour. Il ironise un peu avec les gens de son entourage, et attend, Clara, la jeune femme du prologue. Il lui déclare son amour, dont elle ne veut rien savoir : elle est la fille d'un républicain, emprisonné, puis exilé. Mais elle finit pas croire à la sincérité du monarque qui lui demande de l'épouser, pour l'aider à mener les transformations qu'il envisage.

Au troisième acte, se prépare le mariage du roi et de Clara. Il suscite une grande émotion, et de vives oppositions. La jeune femme est fortement attaquée dans les journaux. Elle doit en plus faire face à l'opposition violente de son père. Elle refuse de céder, mais succombe mystérieusement au même moment que son père décède.

Au quatrième acte, Gran, qui a accepté d'être ministère, doit faire face à Flink qui lui impose un duel. Les deux hommes y laissent la vie, le parti réactionnaire essaie de tirer profit de la mort de Gran pour revenir sur les réformes. le roi, écoeuré et complètement seul désormais, finit par mettre fin à ses jours. L'Epilogue se joue dans les limbes, comme les entractes.

Une pièce longue, à la structure complexes, un mélange de scènes très réalistes (le vote au sujet des wagons de chemin de fer), des débats politiques et religieux un tant soit peu didactiques, avec des moments surnaturels, des génies, des morts, l'au-delà. Ce qui relativise un certain nombre de débats terre à terre, et fait entrevoir d'autres lectures : la critique très vive de la religion, par exemple, représentée par le personnage étriqué, mesquin et formaliste du Pasteur, est au final plus la critique d'une pratique utilitariste et fonctionnelle, que de le foi et du spirituel en général.

Les personnages sont souvent assez impersonnels (ils sont parfois juste désignés par leur fonction Pasteur, Général, la Princesse, et même le Roi) sans prénom, on pourrait presque dire sans visage, et expriment des points de vue, résument des archétypes. Il y a juste quelques aspects un peu plus personnels dans l'histoire d'amour entre le Roi et Clara, et aussi dans le personnage de Gran. Il y a indéniablement un grand pessimisme dans la pièce : le Roi n'arrive pas à mener ses réformes, l'union projetée avec Clara, qui pourrait rassembler et faire agir ensemble les contraires, est morte-née. La façon dont les parties en présence s'emparent de la mort de Gran, ne présage pas vraiment des lendemains radieux. Personne n'a bougé à partir de ses positions, aucun compromis n'est en vue.

Même si le contexte de la pièce a vieilli, le fond du débat demeure
intéressant : comment faire évoluer les institutions et la façon de gouverner, quel serait le système le plus satisfaisant pour le plus grand nombre, comment lutter contre les scléroses et les détournements d'idées à priori justes, mais dont l'application dément les principes. Cela dit, la pièce n'est pas facile à représenter, déjà très longue, avec une alternance de scènes réalistes et surnaturelles. Peut-être plus intéressante à lire qu'à voir.
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