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Critique de 5Arabella


Etrange livre. Déjà parce qu'il trouble de façon délibérée et pleinement préméditée les genres littéraires. Est-ce un roman, un poème, une réflexion philosophique, un essai sur la nature du langage et/ou littérature ? Un peu tout cela sans doute. Comme si le fait de s'enfermer dans un genre littéraire donné n'était plus de mise, et que brouiller les frontières l'évidence. Car toutes les frontières sont brouillées systématiquement et en permanence.

Dans les deux premiers chapitres (pour simplifier à l'extrême), Blanchot s'attaque aux frontière du sujet. D'abord Thomas se confond avec la mer :
"Il poursuivait, en nageant, une sorte de rêverie dans laquelle il se confondait avec la mer. L'ivresse de sortir de soi, de glisser dans le vide, de se disperser dans la pensée de l'eau, lui faisait oublier tout malaise."

Puis il marche la nuit :
"Il descendit dans une sorte de cave qu'il avait d'abord crue assez vaste, mais qui très vite lui parut d'une exiguïté extrême : en avant, en arrière, au-dessus de lui, partout où il portait les mains, il se heurtait brutalement à une paroi aussi solide qu'un mur de maçonnerie ; de tous côtés la route lui était barrée, partout un mur infranchissable, et ce mur n'était pas le plus grand obstacle, il fallait aussi compter sur sa volonté qui était farouchement décidée à le laisser dormir là, dans une passivité pareille à la mort. Folie donc ; dans cette incertitude, cherchant à tâtons les limites de la fosse voûtée, il plaça son corps tout contre la cloison et attendit. Ce qui le dominait, c'était le sentiment d'être poussé en avant par son refus d'avancer."

Ce que je trouve très étrange, c'est qu'en recopiant cet extrait, la difficulté que j'éprouve à décider d'arrêter à un moment. Comme si l'impossibilité de trouver les limites entre le monde et Thomas se retrouvait dans le texte lui-même où il devient impossible de trouver un moment d'arrêt, de limite, de frontière, tout coule du mot, de la phrase précédente comme une évidence, comme un ensemble organique qu'il devient presque impossible d'arrêter à moment donné. le rythme de la phrase, sa continuité font sens en eux-mêmes.

Et donc après ces expérience extrêmes, Thomas ne voit plus les autres comme avant, eux aussi ont du mal à avoir des limites, et donc des existences clairement définies. C'est là qu'intervient la relation amoureuse avec Anne (si on peut utiliser ce genre de formulations). Mais toute relation avec autrui, encore plus que tour contact avec l'environnement, a comme première conséquence de questionner le sujet sur lui-même, sa finitude et son existence même.

"En vérité, il marchait réellement et , avec un corps pareil aux autres, quoiqu'il fût aux trois quart consumé, il pénétrait dans une région où, si lui-même disparaissait, il voyait aussitôt les autres tomber dans un autre néant qui les éloignait plus de lui que s'ils eussent continué à vivre. Chaque homme, si Thomas détournait les yeux, mourait avec lui d'une mort, qu'aucun cri n'annonçait.
Dans cet abîme, Anne, seule résistait. Morte, dissipée dans le milieu le plus proche du vide, elle y trouvait encore des débris d'êtres avec lesquels elle entretenait, durant le naufrage, une sorte de ressemblance familiale sur ses traits."

La mort, la non existence, la dissipation du sujet dans le tout et donc dans le rien, sont présentes, ou tout au moins sous-jacentes dans tout le livre. Comme si tout le travail d'écriture ne menait qu'à cela, et donc finalement comme si le langage n'aboutissait inévitablement qu'au néant, était une négation de l'existant. L'expérience du langage est donc une expérience de la mort. La lecture en devient la plus dangereuse des expériences, et certainement pas une distraction, ni une fuite, elle nous met en face de notre finitude d'une façon impitoyable.

Enfin voilà, quelques réflexions parmi des centaines d'autres qu'amène ce livre, impossible à résumer, à enfermer dans une structure, dont le contenu s'échappe à tout moment de toute interprétation, mais qui en même temps provoque plein d'interprétations, parfois contradictoires, qui comme la prose de Blanchot amènent l'une à l'autre dans un flux qu'il est difficile d'arrêter un fois qu'il est lancé. Quel sens donner de toute façon à un auteur qui semble faire du néant et du non-sens le coeur de son univers ? Mais en même temps, quelle fascinante expérience que de se livrer au pouvoir des mots qui se dévorent eux-mêmes et qui dévorent leur lecteur ?
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