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Critique de Cigale17


Le narrateur, A. Harbourg, son guide local Hamza, et leurs cinq méharis se perdent dans le désert du Sud libyen à la suite d'une tempête de sable. Après plusieurs jours de marche, ils arrivent épuisés aux abords d'une ville inconnue où ils sont bien accueillis, mais où on leur fait subir un curieux examen : on approche de leur visage une écharpe « dont les nuances [vont] du blanc au noir en passant par toutes les variantes de l'ocre ». le résultat de cet examen sur Hamza semble réjouir les habitants. La ville s'appelle Zindãn, et, lui apprend son hôte, il sera sous la protection d'Hadj Hassan, autrement dit Dieu, « le seul, l'Indubitable », qui vit parmi eux. Hamza est alors accompagné dans un autre logement éloigné. Fin du premier chapitre en parodie de thriller : Harbourg ne reverra Hamza qu'une seule fois, dans de « tristes circonstances ».
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Les 28 chapitres de cette « fantasmagorie » sont tous divisés en deux parties, sauf le premier, et titrés par une énumération des thèmes abordés. « Ce mémoire est une mise en forme de mes carnets de route destinée, sur la suggestion du professeur Binswanger, à mettre un peu d'ordre dans le chaos de mes souvenirs […] prévient le narrateur, A. Harbourg, qui se prétend invité pour quelques semaines de villégiature, avec ses compagnons, au Chili, à la villa Bellevue. le mémoire constitue la totalité du premier chapitre et la première partie des chapitres suivants. Quant à la deuxième partie, elle est sous-titrée « Ricordi » et elle raconte la vie à la villa Bellevue, le présent de la narration, en somme. Elle est très brièvement présentée dans un encart comme étant le journal intime de A. Harbourg, ce qui signifie qu'il parle souvent de lui-même à la troisième personne. Bizarre… Comme le style des dessins qui apparaissent dans les marges et la langue châtiée employée pourraient faire croire que cette aventure se déroule au XIXe siècle, une allusion à l'attentat de la rue des Rosiers (1982) vient très vite clarifier les choses, si j'ose dire… Parce qu'elles ne sont pas claires, les choses… Ni dans les souvenirs délirants et bien difficiles à croire du narrateur, ni dans ce qu'il raconte de son séjour à la villa.
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Chacune des bizarreries du nouvel habitat de A. Harbourg sera considérée avec le sérieux et l'absence de préjugé qui doivent être l'apanage de tout anthropologue-ethnographe qui se respecte. C'est pourquoi il ressent le besoin de se justifier tant ce qu'il nous raconte s'écarte des sentiers battus : « J'expose ces loufoqueries avec la distance que permet le passage des années, tout en étant conscient du trouble qu'elles suscitent chez mon lecteur. “On se fiche de moi”, songe-t-il. À tort. Qu'il sache que je partageais cette même stupeur teintée d'acrimonie. » La vraisemblance n'est pas le maître-mot iciì! le lecteur s'étonnera que tous les habitants se comprennent même s'ils parlent des langues diverses, que la façon de mourir la plus courante soit la combustion spontanée, que différentes époques se côtoient, que les hommes accouchent de petits mammifères par césarienne, j'en passe et des meilleures. Dans de nombreux cas, on trouve dans les marges des citations d'auteurs (réels ou imaginaires) qui ont traités du sujet ou la relation de curieux événements (canulars ou faits réels) en lien avec l'anecdote racontée. Ainsi, à Zindãn, on peut avoir accès à des rapports d'écoute provenant d'enregistrements réalisés par des potiers sur l'argile des vases qu'ils tournent. Ça me disait vaguement quelque chose, et j'ai constaté qu'il y avait beaucoup d'articles sur cette histoire qui circule depuis les années 60.
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Blas de Roblès signe là un nouveau roman passionnant, drôle et profond. Évidemment, beaucoup des loufoqueries qu'il relate nous obligent à prendre de la distance et à considérer nos moeurs et nos croyances à la manière d'un témoin impartial… Les dessins, de la main de l'auteur, sont d'une grande qualité et souvent irrésistibles de drôlerie. Ils sont essentiellement de deux factures : beaucoup dans le style des gravures de l'époque de la colonisation, quelques autres, ceux du présent de la narration, dans le style des comics américains. On peut ici et là reconnaître certains personnages célèbres, et je suis sûre qu'il y en a beaucoup plus que ceux que j'ai reconnus. Citons seulement la représentation d'Hugo, présenté comme le « poète incombustible », admiré pour son « incontinence rhétorique » (p.82). Comme dans Là où les tigres sont chez eux, j'ai été séduite par l'érudition de l'auteur, que son humour subtil ou parfois potache dédouane de toute pédanterie. Ainsi, vous rencontrez Chamelle Sixtine, le duc de Trou-Bonbon, Canicula (sexeuse de canetons) ; vous lirez une délicieuse fable sur les phasmes et vous apprendrez avec moi que le phasme est l'avenir de l'orme. Vous l'aurez compris, j'ai adoré ce roman !
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