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Critique de Sachka



"Quand à l'aube de l'histoire, le premier homme se jeta sur le singe l'estomac plein, une massue à la main et le meurtre dans le coeur, le singe sut que l'homme était fou. Mais il fallut longtemps à l'homme pour s'en apercevoir."
Fritz Leiber.

Fou, Daniel Morley le personnage principal de ce roman l'est aussi, le doute n'est pas permis mais il n'a pas mis longtemps à s'en apercevoir lui, quoique...
C'est en lui, à fleur de peau, un désir, une pulsion qui frémit sous la douce caresse de l'étoffe de l'écharpe que feu miss Frazer sa professeur d'anglais lui offrit le jour de la remise des diplômes à Horton High. Pauvre miss Frazer elle n'aura pas su lutter contre la morosité de sa vie qu'elle décidait aussitôt de la quitter sans imaginer un instant qu'elle laisserait une empreinte indélébile gravée dans le cortex cérébral du jeune garçon et une image, une seule comme pour rappeler à son bon souvenir : son corps suffoquant, son corps agonisant dans les vapeurs de monoxyde de carbone.

L'histoire ne nous dit pas comment le pauvre garçon est parvenu à se construire jusqu'à l'âge adulte mais toujours est-il que nous le retrouvons une décennie plus tard à Minneapolis. La seule chose qu'il a conservée de ses années à Horton High est sa précieuse écharpe. Il est devenu un fringant jeune homme qui se rêve écrivain et tente de vivre de sa plume avec cependant une approche très personnelle pour parvenir à l'inspiration : la mise en pratique dans la vie réelle. Oui, Daniel Morley couche sur le papier les femmes qu'il rencontre mais pas avant de les avoir couchées dans un cercueil. Paix à leurs âmes.

Il faut avouer que tout le talent de Robert Bloch réside dans le soin qu'il a apporté à la création de son personnage principal. Daniel Morley aurait pu s'appeler Norman Bates ou Patrick Bateman à quelques détails près qui ont toute leur importance ici : il est pleinement conscient de ses actes et lucide sur les raisons qui le poussent à tuer, il sait depuis longtemps où le mal a trouvé son origine. Daniel Morley hait les femmes, toutes les femmes et en particulier une : sa mère. Une haine profonde et tenace qui s'est tapie en lui dès l'enfance, miss Frazer n'aura été que l'un des nombreux éléments déclencheurs à sa folie.

Robert Bloch, et c'est ce qui est très intéressant dans ce récit, met un point d'honneur à nous rendre le personnage humain, attachant, certainement grâce au complexe d'infériorité dont il l'a affublé et forcément la lectrice que je suis se prend aussitôt d'affection pour le gamin de neuf ans, fragile et timoré qui passe ses nuits les mains liées aux montants de son lit car sa mère l'ayant catalogué de "vicieux" ne veut pas qu'il se touche.

L'ensemble du récit écrit à la première personne du singulier nous permet de prendre place aisément dans la tête de ce tueur atypique doué pour l'auto-analyse et l'autodérision qui va même jusqu'à se soucier du confort pré-mortem de ses victimes puisqu'il ne tue que les femmes avec lesquelles il se lie intimement. Ont-elles seulement le temps d'être surprises quand la caresse de l'écharpe qui enserre leurs nuques graciles se fait plus pressante, laissant palpiter la jugulaire saillante dans un dernier râle extatique qui précède l'asphyxie et que de leurs yeux devenant peu à peu vitreux elles cherchent encore dans un dernier battement de cils l'amour de Daniel ?

Ne vous attendez pas à des scènes de crime sanglantes, il n'y en a pas, l'auteur n'a recours à aucun artifice du genre horrifique, il préfère s'appuyer sur la caractérisation psychologique de son personnage en nous faisant entrer directement dans son esprit, le lecteur appréciera à sa juste valeur les extraits de son fameux carnet noir car ne l'oublions pas Daniel Morley est fêlé c'est un fait que l'on ne peut contredire mais à côté de cela, et c'est tout à son honneur, il tente par tous les moyens de devenir un citoyen américain respectable et respecté de tous car on est rarement criminel toute sa vie et il l'a bien compris.

Pour conclure je vous invite à découvrir ce récit teinté d'humour noir qui se déroule dans l'Amérique en pleine réforme de la fin des années 40. de Minneapolis à Chicago sans oublier Big Apple et Hollywood, Robert Bloch nous raconte l'ascension sociale fulgurante dans le milieu de l'édition d'un tueur psychopathe qui finalement ne cherche qu'une seule chose : réussir à tout prix, viser toujours plus haut : the American Dream, et surtout ne jamais s'arrêter sur un échec, en témoignent les dernières pages de ce roman : surprenantes.

Je laisse le mot de la fin au type du miroir :

"En tout cas j'ai fait de mon mieux, j'ai attrapé au vol les petits papillons noirs qui se débattaient dans mon cerveau et je les ai épinglés pour les regarder au microscope, pourquoi ressemblaient-ils à des sphinx tête de mort ? Je ne connais toujours pas la réponse."




* Je vous invite à lire les critiques de jrm30 et greg320i.



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