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Critique de RobertB


Rarement un témoignage aussi précis nous est livré à l'intérieur même d'un conflit. L'historien Marc Bloch, qui aurait pu rester chez lui au vu de son âge, s'engage en tant qu'officier, en l'occurrence pour faire la guerre de 39-40, mais également pour la suivre avec un oeil d'entomologiste.
Ses annotations font mal. Pêle-mêle sont rapportées une coopération médiocre avec les Anglais (on peut difficilement en douter…), la faillite des élites militaires, enfermées dans un conservatisme stérile quand elles ne sont pas finalement satisfaites de voir tomber la troisième république, mais aussi une certaine complicité de la bourgeoisie française, complicité qui se transformera bien vite en collaboration avec l'ennemi.
La plus importante cause, selon Marc Bloch, de la défaite éclair reste cependant une bureaucratie aussi tenace que paralysante. Personne ne savait où se prenaient les décisions et l'empilement échevelé des organigrammes et des structures interdisait toute cohérence d'ensemble.

De ce terrible écheveau, Marc Bloch en constitue d'ailleurs un rouage bien malgré lui et c'est avec un empressement de scrutateur qu'il nous livre une anecdote aussi révélatrice qu'imparable sur la densité organisationnelle qui immobilise l'armée française : au cours de sa mission, il est en effet amené à rencontrer son homologue luxembourgeois, un francophile acharné désireux de voir la Wehrmacht mordre la poussière. Celui-ci déclare à Bloch la chose suivante ; soit l'armée française se sent capable d'aller inquiéter les Allemands chez eux, auquel cas les importants stocks d'essence luxembourgeois seront remplis à disposition des Français, soit au contraire, les armées françaises privilégient un recul tactique, quitte à laisse pénétrer un peu la Wehrmacht en France. Dans ce cas, les stocks luxembourgeois, colossaux, seront intégralement vidés pour ne pas tomber aux mains des « boches ».
La décision est d'importance, aussi Marc Bloch, ne se sentant pas le pouvoir d'apporter lui-même une réponse, fera remonter illico la problématique au plus haut niveau.
Quatre ans plus tard, le rapport de Marc Bloch est retrouvé, parfaitement archivé et muni d'un nombre incalculable de visas, sans qu'aucun des signataires n'ait apporté une quelconque réponse. Au final, les Allemands, qui passeront par le Luxembourg, se serviront allègrement des stocks de carburant au grand désespoir de l'officier luxembourgeois qui, attendant une réponse française, n'avait pas eu le temps de vider ses cuves….

Un livre injustement méconnu, peut-être parce qu'il appuie sur des plaies qu'on se refuse encore à connaître, et qui pose très justement une question forte : comment une armée telle que celle opposée par la France aux Allemands en 1940 a pu se déliter en si peu de temps, pour en arriver à constituer une sorte de déroute record, inexplicable et encore inégalée...
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