Troisième volet de notre série d'entretiens sur le premier anniversaire de l'agression russe en Ukraine, avec Sophie Lambroschini, chercheuse au Centre Marc-Bloch de Berlin et experte de la Russie et de l'Ukraine contemporaines.
Dans le cadre d'un partenariat avec le Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen (Cercec, EHESS-CNRS), à l'occasion du premier anniversaire de l'agression russe contre l'Ukraine, déclenchée par Vladimir Poutine le 24 février 2022, nous donnons la parole à quatre chercheuses et à un chercheur pour mieux comprendre les enjeux de cet événement, à la fois du côté de l'agresseur et de l'agressé.
Sophie Lambroschini est chercheuse au Centre Marc-Bloch et chercheuse associée au Cercec. Ancienne journaliste, elle a mené des recherches dans le Donbass, région de l'est de l'Ukraine. Elle s'intéresse en particulier aux services publics et à leur adaptation dans le contexte de la guerre. Elle a publié Ukrainiens (Ateliers Henry Dougier).
#Ukraine #Russie #Guerre
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L’incompréhension du présent naît fatalement de l’ignorance du passé.
C'est quand les hommes cessent d’être d’accord que leur histoire devient claire.

Je suis Juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus que nulle autre, du moins par la naissance. Je n’en tire ni orgueil ni honte, étant, je l’espère, assez bon historien pour n’ignorer point que les prédispositions raciales sont un mythe et la notion même de race pure une absurdité particulièrement flagrante, lorsqu’elle prétend s’appliquer, comme ici, à ce qui fut, en réalité, un groupe de croyants, recrutés, jadis, dans tout le monde méditerranéen, turco-khazar et slave. Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d’un antisémite. Mais peut-être les personnes qui s’opposeront à mon témoignage chercheront-elles à le ruiner en me traitant de « métèque ». Je leur répondrai, sans plus, que mon arrière-grand père fut soldat, en 93 ; que mon père, en 1870, servit dans Strasbourg assiégé ; que mes deux oncles et lui quittèrent volontairement leur Alsace natale, après son annexion au IIe Reich ; que j’ai été élevé dans le culte de ces traditions patriotiques, dont les Israélites de l’exode alsacien furent toujours les plus fervents mainteneurs ; que la France, enfin, dont certains conspireraient volontiers à m’expulser aujourd’hui et peut-être (qui sait ?) y réussiront, demeurera, quoi qu’il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture, j’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux.
Jusqu'au bout, notre guerre aura été une guerre de vieilles gens ou de forts en thèmes, engoncés dans les erreurs d'une histoire comprise à rebours : une guerre toute pénétrée par l'odeur de moisi qu'exhalent l'Ecole,le bureau d'état major du temps de paix ou la caserne.
Une invention ne se répand guère que si la nécessité sociale en est largement ressentie.
Les hommes ressemblent plus à leur temps qu'à leurs pères.
La mission d’un livre n’est jamais mieux remplie que le jour où les conclusions en sont contestées.
"Bachotage " Autrement dit : hantise de l'examen et du classement .
Pis encore : ce qui devrait etre simplement un réactif, destiné à éprouver la valeur de l'éducation, devient une fin en soi, vers laquelle s'oriente, dorénavant, l'éducation tout entière. On n'invite plus les enfants ou les étudiants à acquérir les connaissances dont l'examen permettra d'apprécier la solidité.
C'est à se préparer à l'examen qu'on les convie.
Ainsi un chien savant n'est pas un chien qui sait beaucoup de choses, mais qui a été dressé à donner, par quelques exercices choisis d'avance, l'illusion du savoir.
Marc Bloch Sur la réforme de l'enseignement . 1943

Or longtemps l'historien a passé pour une manière de juge des Enfers, chargé de distribuer aux héros morts l'éloge ou le blâme. Il faut croire que cette attitude répond à un instinct puissamment enraciné. Car tous les maîtres qui ont eu à corriger des travaux d'étudiants savent combien ces jeunes gens se laissent difficilement dissuader de jouer, du haut de leurs pupitres, les Minos ou les Osiris. C'est, plus que jamais, le mot de Pascal : « tout le monde fait le dieu en jugeant : cela est bon ou mauvais ». On oublie qu'un jugement de valeur n'a de raison d'être que comme la préparation d'un acte et de sens seulement par rapport à un système de références morales, délibérément acceptées. Dans la vie quotidienne, les besoins de la conduite nous imposent cet étiquetage, ordinairement assez sommaire. Là où nous ne pouvons plus rien, là où les idéaux communément reçus diffèrent profondément des nôtres, il n'est plus qu'un embarras. Pour séparer, dans la troupe de nos pères, les justes des damnés, sommes-nous donc si sûrs de nous et de notre temps ? Élevant à l'absolu les critères, tout relatifs, d'un individu, d'un parti ou d'une génération, quelle plaisanterie d'en infliger les normes à la façon dont Scylla gouverna Rome ou Richelieu les Etats du roi très chrétien ! Comme d'ailleurs rien n'est plus variable, par nature, que de pareils arrêts, soumis à toutes les fluctuations de la conscience collective ou du caprice personnel, l'histoire, en permettant trop souvent au palmarès de prendre le pas sur le carnet d'expériences, s'est gratuitement donné l'air de la plus incertaine des disciplines : aux creux réquisitoires succèdent autant de vaines réhabilitations. Robespierristes, anti-robespierristes, nous vous crions grâce : par pitié, dites-nous simplement quel fut Robespierre. Encore si le jugement ne faisait que suivre l'explication le lecteur en serait quitte pour sauter la page. Par malheur à force de juger, on finit presque fatalement par perdre jusqu'au goût d'expliquer.
2036 - [1952, p. 70]

Voici, face à face, deux hommes : l’un qui veut servir l’autre qui accepte ou souhaite d’être chef. Le premier joint les mains et les place, ainsi unies, dans les mains du second : clair symbole de soumission, dont le sens, parfois, était encore accentué par un agenouillement. En même temps, le personnage aux mains offertes prononce quelques paroles, très brèves, par où il se reconnaît « l’homme » de son vis‑à‑vis. Puis chef et subordonné se baisent sur la bouche : symbole d’accord et d’amitié. Tels étaient — très simples et, par là même, éminemment propres à frapper des esprits si sensibles aux choses vues — les gestes qui servaient à nouer un des liens sociaux les plus forts qu’ait connus l’ère féodale. Cent fois décrite ou mentionnée dans les textes, reproduite sur des sceaux, des miniatures, des bas‑reliefs, la cérémonie s’appelait « hommage » (en allemand, Mannschaft). Pour désigner le supérieur, qu’elle créait, point d’autres termes que le nom, très général, de « seigneur ». Souvent le subordonné est dit de même, sans plus, « l’homme » de ce seigneur. Quelquefois, avec plus de précision, son « homme de bouche et de mains ». Mais on emploie aussi des mots mieux spécialisés : « vassal » ou, jusqu’au début du XIIe siècle au moins, « commendé ».