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Critique de Thrinecis


Après une immersion de trois années parmi les Lamalériens, l'anthropologue américain Doug Bock Clark nous livre un récit passionnant et bouleversant sur ce peuple de chasseurs-cueilleurs, le dernier à vivre quasiment exclusivement de la chasse au cachalot. Dans l'archipel indonésien des îles Solor, il est une petite île, Lembata. Sur sa côte, Lamalera, petit village situé au bord d'une plage envahie par les ossements gigantesques des cachalots que les Lamalériens chassent depuis 500 ans au harpon avec leurs pirogues de bois. La tribu, animiste et catholique, ne compte pas plus de 1500 hommes et femmes dont les conditions de vie sont bien différentes de celles des habitants de Jakarta. Sans terres cultivables sur leur petit coin d'île, la chasse au cachalot est leur principal moyen d'existence et leur permet de troquer riz, maïs et légumes avec le peuple des montagnes qui vit sur l'autre versant de l'île, à la terre plus arable que la leur. Sans électricité, ni eau courante, la vie des Lamalériens est difficile et précaire.

La chasse au cachalot est dangereuse : codifiée, ritualisée par la Voie des Ancêtres, cet ensemble de règles non écrites qui régit tout la vie de cette tribu, elle provoque régulièrement de graves blessures pouvant aller jusqu'à des membres sectionnés par la corde du harpon ou des noyades quand le cachalot blessé « sonde » brutalement vers les profondeurs pour tenter de se débarrasser des harpons qui le torturent.

Pour nous faire découvrir cette tribu, l'anthropologue qui a appris le lamalérien, a su se faire écrivain et nous brosse avec talent, plus que des portraits, des moments de vie, de partage ou de solitude : impressionnantes scènes de chasses au cachalot ou à la raie manta, moments de fête mais aussi plus intimement, nous découvrons les blessures, les doutes et le désespoir de Jon, le jeune apprenti chasseur qui rêve de devenir « lamafa » rang qui l'autoriserait à harponner en premier le cachalot, les angoisses de sa soeur Ika condamnée à rester au village et ses regrets de ne pouvoir faire des études, les tentatives du chamane Frans pour protéger, prolonger les traditions ancestrales.

Pour les jeunes, suivre la Voie des Ancêtres devient compliqué : confrontés au choix difficile de vivre comme leurs aînés en continuant à chasser le cachalot au prix d'une vie sans argent, sans confort, ou bien céder aux sirènes de la modernité, pour bénéficier des téléphones portables, de l'électricité ou de hors-bord motorisés. le choix est cornélien comme l'illustre bien celui que Jon devra faire tôt ou tard, partagé entre son envie de devenir « lamafa » et de rester au village pour veiller sur ses grands-parents et sa soeur et son attirance pour la ville où il pourrait gagner de l'argent.

Les anciens n'ont pas ce choix à faire, mais acceptent quelques entorses à la Voie des Ancêtres pour convaincre les jeunes de rester : ainsi, le chamane finit par autoriser le recours au hors-bord à moteur pour remorquer plus rapidement les pirogues de bois sur le lieu d'une chasse au cachalot. Mais une fois sur place, le hors-bord doit être détaché de la pirogue et la poursuite et la chasse doivent se faire avec les pirogues uniquement. Bien sûr, toute arme autre que le harpon traditionnel est interdite. Lente transition vers la modernité...

Bien écrit, abondamment documenté et illustré de photos, abordant les angles économiques, écologiques ou spirituels, c'est un témoignage riche et bouleversant qui interpelle : quel serait le meilleur destin possible pour cette petite tribu ? Les Lamalériens ne le savent pas eux-mêmes, l'anthropologue n'apporte pas non plus de réponse... En refermant ce livre, une question me hante : trois ans plus tard, que sont devenus, que vont devenir Jon, Honi, Ika, Ignatius, Frans et Sipri ?

Un grand merci à Babelio pour ce livre passionnant reçu dans le cadre d'une Masse Critique !

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