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Critique de gerardmuller


La Vallée des Roses / Lucien Bodard
Yi, une beauté, jeune fille de la bonne noblesse mandchoue doit bientôt épouser le jeune Jung-Lu, un garçon de bonne naissance. Les familles se sont mises d'accord depuis longtemps pour ce mariage. Avant de célébrer les noces, il est convenu de consulter un astrologue pour connaître le jour le plus faste pour cette union. C'est alors que l'astrologue voit dans ses grimoires le soleil rouge devenir noir et par ailleurs l'empereur Tao-Koung vient d'expirer en pleine gloire. C'est un signe qui ne trompe pas, les auspices ont tranché : cette union ne peut avoir lieu.
Dès cet instant, Yi, dénuée de tout préjugés et scrupules, capable de tout, se sent investie de façon apodictique d'une mission : devenir impératrice en devenant la favorite des odalisques de Hieng-Fong, le Soleil Impérial, le fils successeur de Tao-Koung. Pour cela il lui faudra réussir le premier examen que fait passer l'Impératrice, la Mère Douairière assistée de deux eunuques, à toutes les prétendantes au gynécée du nouveau Saint Homme Hieng-Fong, un être dégénéré, ivrogne et débauché, un être sans foi ni loi. Trente concubines sont ainsi désignées dont Yi. Reste à Yi à séduire d'abord la Duègne Mère puis le nouvel empereur qui a une préférence pour ses gitons et que la simple vue d'une femme fait vomir, pour qu'elle puisse accéder à la Chambre du Repos Divin et le moment venu faire le nécessaire pour engendrer pour l'avenir du Grand Chariot.
Ainsi commence ce roman magnifique de Lucien Bodard de plus de 400 pages dont l'action se déroule au coeur de la Cité Interdite, la Cité Pourpre, dans la Chine de jadis, mettant en scène l'histoire d'une ambition folle, celle d'une fleur, d'une beauté à la grâce incarnée qui a pour nom Yi et qui caresse le rêve de devenir la femme de l'Empereur régnant, le Grand Timonier, puis en subjuguant celui-ci de gouverner la Chine aux 500 millions de sujets, pour devenir un jour la fameuse impératrice Tseu-Hi (1835-1908). Pour arriver à ses fins, elle est prête à toutes les ruses obreptices, aux paroles mensongères, captieuses et propitiatoires, à feindre une fausse soumission, aux avilissements les plus bas, à la cruauté la plus extrême, à l'inflexibilité du coeur et à l'inexorabilité dans l'action, à l'assouvissement de toutes passions aussi bien celle du sang que celle de la volupté. Femme superbe et cupide, elle veut se servir de son corps magnifique et désirable pour envoûter et même réduire en loque humaine un Empereur faible jusqu'à le conduire à son insu à la vallée des roses. Quoique vierge, elle se sent déjà emportée par le feu des lascivités alvines et des cruautés. Elle croit à la puissance invincible de son corps, mais elle ne sait pas encore qui est Hieng-Fong l'enamouré de ses mignons, protégé par ses castrats. Elle sait juste qu'une fille, une certaine Nu, a été désignée subrepticement en première ligne pour occuper le lit de l'Empereur. Une place qu'elle compte bien occuper au plus tôt…Mais il lui faudra patience et pertinacité… Et elle ne sait pas que son premier amant sera un eunuque auquel elle livrera la grâce de son corps pour vivre, pour survivre même, vivant alors la romance de la Belle et de l'Impuissant, une réelle complicité s'instaurant entre elle et lui, Ngan Te-hai, l'eunuque en chef, le Grand Surveillant qui devient son féal lige et inflexible. Des pages inoubliables d'une séraphique oaristys…
Une seconde partie mêle l'aventure de Yi à celle des envahisseurs anglais et français, les Barbares, un corps expéditionnaire qui a pour mission de contraindre l'empereur à ouvrir son pays à leurs commerçants et missionnaires. Un épisode épique et hallucinant d'horreur avec en point d'orgue le Sac du Palais d'été en octobre 1860, que l'auteur nous décrit puissamment avec parfois une pointe d'humour :
« Il n'y eut jamais plus belle Armée de la Civilisation Chrétienne et Nobiliaire, remplissant mieux les exigences et les subtilités de la Perfection Militaire, que celle se trouvent aux pieds des murailles de Pékin la Céleste, Pékin l'Interdite, qu'elle s'apprête à violer en tout bien tout honneur. »
Un pillage en règle suivi d'un incendie qui voit une des merveilles du monde partir en fumée. On a appelé cet épisode, la Seconde Guerre de l'opium. (Lire annexe)
Un fantastique roman d'aventures mêlant l'histoire vraie d'une réalité extravagante à la légende encore plus hallucinante, avec le Saint Homme, les favoris et autres sycophantes, les dignitaires auliques et les ombreuses concubines ! Sans oublier les ubiquitaires eunuques, ces scurriles sujets qui ne sont ni hommes ni femmes, de véritables limaces, êtres cauteleux doués de toutes les perfidies mâles et femelles, extraordinaires espions, conseillers des ténébreux complots, maîtres des potions funèbres, experts en voluptés ithyphalliques qu'ils ne pratiquent pas, châtrés exercés à faire souffrir, de loin les meilleurs bourreaux de Chine ; gardiens de femmes, la Cité Violette est à eux la nuit.
Une mention spéciale pour le style hors norme de Lucien Bodard, sensuel et d'un érotisme brûlant et poétique, une écriture flamboyante et luxuriante, foisonnante et méticuleuse, qui magnifie ce défilé de scènes fascinantes où se côtoient à chaque page l'horreur et l'insolite. Il y a du Flaubert dans cette oeuvre titanesque, celui de salammbô qui m'a tant enthousiasmé naguère.

Annexe.
Seconde Guerre de l'opium. 3000 Français et autant d'Anglais débarquent en septembre 1860 dans le golfe de Petchili (ou mer de Bohai) et prennent la direction de Pékin. Après la prise du pont de Pa-li-kao, le 21 septembre, le corps expéditionnaire ne rencontre plus d'obstacle. Il arrive le 13 octobre 1860 dans la capitale chinoise, d'où s'est enfuie la cour impériale. Cette splendide résidence des empereurs mandchous ou Qing, à la construction de laquelle ont participé des Jésuites, renferme de vastes collections d'oeuvres d'art et des livres de grande valeur. Les Anglais ayant rejoint les Français, ensemble, ils dévalisent méthodiquement le palais en vue d'approvisionner les musées d'Europe. Les Français envoient en cadeau certains objets de valeur à l'impératrice Eugénie, patronne de cette « glorieuse »( !) expédition en terre chinoise. Mais les soldats, qui ne sont pas insensibles à ces trésors, se servent pour leur propre compte. Jade, or, laque, perles, bronzes... tout suscite la convoitise des pillards. Les contemporains appellent cet acte de vandalisme caractérisé du doux euphémisme de « déménagement du Palais d'Été ». Avant de quitter les lieux, les soldats britanniques mettent le feu aux bâtiments, majoritairement construits en bois de cèdre, sur ordre de l'ambassadeur britannique, lord Elgin, qui veut ainsi venger les prisonniers torturés à mort par les Chinois.
Extrait (page 351) comparant avec humour l'attitude des Anglais et des Français :
« On voit la supériorité de la race anglo-saxonne qui a la flibusterie dans le sang, mais qui pille comme à la parade. Quand les Anglais sont bien gorgés de dépouilles fantastiques, leur peau devient encore plus blanche, leurs yeux encore plus clairs, ils ont toutes les pâleurs de l'innocence. Ils connaissent la valeur des choses, ancestralement, avec férocité, ce qui leur permet ensuite d'assumer cette expression de souveraine indifférence. C'est vrai qu'ils ont de l'entraînement. Comme ils ont pillé les joyaux des Indes, ils apportent leur héraldique entraînement à dépecer la Chine….Les Français n'ont pas la bonne éducation du vol…Ils se tortillent la pointe des moustaches en se demandant si ces trésors, c'est « du lard ou du cochon… »



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