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Critique de gerardmuller


La chasse à l'ours // Lucien Bodard
En mission journalistique à Belfast en Irlande au moment de la guerre civile, une guerre qui n'en est pas une tout en en étant une, l'auteur se confie à la feuille blanche pour évoquer sa vie privée.
« L'Irlande et ses spasmes m'ont arraché opportunément à un autre bourbier, plus ravageur encore, dans lequel je me débattais comme un Pierrot: ma vie avec les femmes. » Une dilection ! Une aboulie !
Les femmes, ses bourrelles, l'auteur avoue qu'elles sont aussi ses victimes et que souvent il les a lacérées, déchiquetées, anéanties ! Mais le fait est là : ses épouses successives et ses maîtresses ont tourné « démones et sorcières, un tourbillon cyclonique, un sabbat prométhéen » qui à présent le concasse et le broie tel un vortex femelle.
« Passions des femmes ! Mon malheur… » écrit-il.
Alors il y a Clémence, sa femme, la légitime, la pire du lot. Vingt ans de moins que lui, mais une vraie nature ! « S'il y eut un temps merveilleux dans ma vie, ce sont mes premiers jours avec Clémence… Clémence de ma passion. Tout en elle est délectable… Clémence l'impudique dans une certaine qualité de pudeur…Elle pourrait être ma fille…Que voit-elle en moi ? L'homme, le père, l'amant ?...Elle, ma sémillante fillette, ma compagne, ma femme !...Ses imaginations, sa pétulance !... » Amoureuse de l'anathème, Clémence l'amante truculente… Hélas, elle est aussi reine de la félonie et quand elle endosse ses atours de Madone à la blancheur liliale, c'est qu'elle franchit les sommets de la trahison ! Hydre sous ses aspects charmants et son caractère primesautier !
Puis il y a Martine, la maîtresse en titre, tendre comme une walkyrie opulente et grand coeur, mais son goût féroce du pouvoir emporte tout avec son sourire de chef dominateur, son talent, sa réussite, son aura.
Sans oublier Paule, l'ex, épouse divorcée qui continue à se comporter en reine-mère en affirmant que dans l'univers de Lucien, elle est la seule femme qui ne soit pas une maladie. Elle se dit même guérisseuse des maux infligés par les autres femelles aux hommes qu'elle aime.
Enfin il y a les abonnées, une petite harde peu exigeante dont Ghislaine, une fidèle.
Anne-Marie est morte : c'est l'incipit de ce roman qui s'ouvre sur la mort déchirante d'une mère hors norme, mythique en vérité. « Anne -marie ma mère ma femme, mon amante. » le temps est alors à la sidération : Lucien, cinquante ans, reste sans réaction et se confie…Anne-Marie : une mère qui l'a façonné à sa manière, qui l'a déglingué comme il dit, démoli pour la vie ; elle a tout fabriqué ses névroses, ses lâchetés, ses faiblesses.
« Anne-Marie passait de l'amour à la méchanceté, de la sincérité à la duplicité, ma mère pouvait multiplier ses facettes à l'infini… »
Après la vie avec sa mère et une minutieuse description de la maison de retraite où elle a croupi durant vingt ans à Cavalaire, l'auteur décrit son cadre de travail à Paris au journal France-soir avec une galerie de portraits étonnante. En fait grand reporter dans le monde entier, il ne reste jamais bien longtemps en les murs du journal. Lâché aussi bien dans la forêt africaine que dans la jungle parisienne, les femmes chasseresses le courtisent à tout va. Baroudeur désabusé, don Juan acharné, il est un infidèle possessif à l'appétit infernal.
Aucun des membres de sa famille ou presque n'échappent à la plume acérée de Bodard. « La dégueulasserie m'a entouré dès le berceau, une duperie permanente…Le cul-de-sac de leurs pauvres passions et de leurs sombres convoitises…Beaux messieurs, belles dames, de sales bêtes tournant en rond dans le bocal des bienséances. La méchanceté en épingles de cravates et robes décolletées, une fange à belles dentelles… »
Dans ce roman, Lucien évoque avec lucidité et émotion toutes ces femmes qui ont tourné autour de lui, tantôt mystérieuses, tantôt séduisantes et séductrices. C'est une véritable confession, sans détour, dans laquelle il avoue qu'il redécouvre constamment en lui avec découragement, une incapacité à résoudre les problèmes de sa vie : il les entasse, les accumule, ils s'enchevêtrent, ils l'écrasent…
Habilement, Lucien intercale des souvenirs d'enfance avec Anne-Marie sa mère. Les vacances bucoliques à Ancenis chez le frère et la belle-soeur d'Anne-Marie ont laissé un parfum de douceur et de nostalgie quand le petit garçon d'alors était choyé de tous. La messe dominicale était un moment privilégié : « Les lumières irréelles et les pénombres vacillantes, le capharnaüm, la sainte foire des objets religieux, ces gens statufiés en des positions incroyables, plutôt inconvenantes, la surabondance de christs barbus et nus… » Et les fidèles qui tous pratiquent, « confessant leurs petits péchés, se repentant suffisamment, communiant dévotement ; certains, plus inquiets, ont peur du diable et de sa rôtisserie. Somme toute, ce sont de bons chrétiens qui auront droit au paradis… »
Tout au long du roman, on notera l'extraordinaire talent de l'auteur pour dresser des portraits de personnages, le plus souvent au vitriol d'ailleurs comme celui de Mao Tsé Toung, et puis dans l'évocation des événements de mai 1968, le tout dans un style foisonnant, abondant, exalté, exubérant et toujours teinté d'humour et enrichi de mots inventés très suggestifs.
Et vers la fin du récit, Lucien se livre à des aveux, reconnaissant ses torts dans les conflits qui l'opposèrent à ses femmes et notamment à Clémence : « J'appelais amour mon vampirisme, cette obstination à métamorphoser Clémence en une bonniche ayant mission de dépoussiérer mes rides. » Clémence, son éternelle Clémence jusqu'à la dernière ligne !


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