Dernier carré, n°5 : Bulletin de la Société des amis de la fin du monde

Ce que l'individu moyen, l'homme quelconque des amas urbains, en son for intérieur pense de l'avenir de la civilisation, les trottoirs jonchés de masques chirurgicaux usagés l'expriment assez sans équivoque. (p. 15)

... de se questionner pourquoi la course du temps se fait apparemment si hâtive à nous bousculer dans la suite des semaines, à tourner si précipitamment les pages du calendrier et nous pousser ainsi dans une accélération manifeste de ces faits excessifs dont l'époque résonne toute entière.

Comment vois-tu la Terre et l'humanité dans 50 ans (figure-toi tes enfants vieillis, épaissis et ridés, toi en photo-souvenir sur l'étagère) à l'aide des projections diverses en matière de hausse des températures, de désordres atmosphériques et de fonte des calottes glacées, de migrations contraintes, de baisse tendancielle des rendements agricoles, d'extinctions animales, de point de rupture amazonien (dessèchement puis ignition), etc, où dans 30 ans (de tes propres yeux alors) - dans 20 ans, dans 10 ans si déjà ça carbonise maintenant par millions d'hectares - ou tout simplement : L'année prochaine, comment vois-tu la Terre ? (p. 10)

...un battement d'aile de chauve-souris dans une province chinoise suscite un tourbillon épidémique qui enveloppe bientôt le globe et partout y suspend les productivités, menant en quelques semaines le monde organisé (tout à coup respirable, où s'entend le chant des oiseaux résiduels, où se hasardent des animaux sauvages) à se tenir en imagination sur le bord étroit, peu stable, vertigineux, de son effondrement. (p. 6)

& ces vieux doctes, au confortable de leur bureau d'hommes de pensée fameux ne comprenant pas que... cette vive humeur qu'ils en concevaient ne se motivait pas seulement de leur mauvaise conscience mais de celle plus enfouie, plus reculée et pathétique, de leur désuétude, de ce que leurs cogitations habiles s'avéraient dès à présent hors de saison et comme des puérilités, des radotages auxquels nul ne prêtait plus attention désormais que nous étions rendus dans le Pyrocène et ses douze millions d'hectares australiens calcinés en guise de prologue. (p. 2)

[...] dans l'inframonde dont on ne sait que les pages d'écran et les applications des entités algorithmiques sont mandatées à épier nos agissements, à documenter nos transactions, à cerner nos conduites et ce qu'elles dévoilent de nos intentions, de nos arrière-pensées et sont d'après cela habilitées à régler nos droits d'accès aux commodités sociales... (p. 12)