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Critique de Franz


Sans échappatoire.
Tiens voilà du Baudouin ! le Sieur Bodinat revient donner des nouvelles depuis l'Estaminet, peut-être le point de rendez-vous de la Société des amis de la fin du monde. le bulletin de liaison est un sobre fascicule de 32 pages. Intitulé « Dernier carré », il laisse supposer qu'un ultime groupe résiste encore pour l'honneur avant l'inéluctable défaite. Hardi les p'tits gars ! Bien que la « parution soit irrégulière jusqu'à échéance » c'est-à-dire sept numéros sont parus tel qu'annoncé, sans suite prévue, le contenu est riche et digeste, nourrissant et rayonnant. Même si Baudouin de Bodinat, philosophe, inconnu au bataillon car cachottier de son identité, irrigue le livret des confins, la poétesse Marlène Soreda, cofondatrice de la revue « Fario » où Baudouin expédia par voie postale ses livraisons « Au fond de la couche gazeuse » pour parution dans la précieuse revue littéraire, semble plus incarnée même si une seule photographie floue et datée la représente.
Comme Pessoa en son temps se heurtait à la vacuité de l'existence, depuis sa chambre jusqu'à la rue « avec le mystère des choses enfoui sous les pierres et les êtres », Bodinat jardine et extirpe les racines d'un terrain délaissé puis songe à l'inguérissable humanité frappée par la pandémie et incapable ensuite de corriger le tir lorsque la terre se meurt de trop d'abus. L'auteur pointe le débit biométrique en guise de paiement immatériel qui supplante la monnaie palpable quand « chaque individu se voit renvoyé à la solitude de son destin économique, sans contact, entièrement à découvert et visible de toute part dans son aliénation... » Il est aussi question de la surveillance généralisée des personnes qui annihile toute liberté intérieure. La litanie des maux planétaires : "inexorables dessèchements et déluges incroyables, incendies continentaux, mort thermique des océans, souillures chimiques ou radioactives pour des siècles..." ne peut faire taire totalement "la moindre vibration" dans "l'épaisseur du monde" qui excite la conscience aiguë d'exister. Dans le marasme ambiant subsistent des poches d'air.
Après les seize pages introductives fort titillantes s'ensuivent les "Piètres plaisirs de Paris", issus d'une autre main mais de la même veine charrient un identique délitement auréolé de menues embellies quand des élans de tendresse fusent chez les petites gens, ces oubliés des zones périphériques.
Dans le même ton, des extraits d'auteurs confidentiels, « bêtement oubliés » (Edmond Jaloux, Pierre Gascar, Ferdinando Camon, Adrienne Monnier) enrichissent la rubrique "Sous la poussière".
"Le carnet de la mansarde" délivre agenda, pense-bête, poèmes d'une anonyme des années quarante.
"Le magasin à poudre" reprend les actualités d'une Terre à l'agonie avec notamment le dôme de chaleur en Amérique du Nord, les méga feux entrés dans l'ordinaire des choses, les pénuries d'eau, la pauvreté hallucinante, les échouages hideux, la mise à mort des océans, les contaminations déferlantes, la gangrène du crime organisé. Il ne reste plus qu'à croiser les doigts et espérer que cela se tasse.
L'avant-dernière page relate la disparition du courrier écrit et aussi, au passage, "l'agonie des livres, de l'art de la conversation, de l'esprit de répartie, de l'humour, des concerts classiques, de la correspondance et même des coups de téléphone".
L'ultime page reproduit un article du "Petit Journal" du 2 juin 1879 sur la destruction des limaces, des conseils de génocideur de gastéropodes, d'embrocheur de limaces : "On peut également arroser les limaces avec une eau de chaux vive."
Diantre ! le ver est dans l'usufruit de l'homme qui ne partage rien hormis ses manques. Finalement, l'énumération des catastrophes et la mort programmée du monde tracent la métaphore filée de notre propre finitude. La Terre nous survivra. Néant en moins, pourvu que notre permis de séjour soit prolongé afin que d'autres numéros paraissent et se sirotent en attendant la fin des haricots !
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