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Critique de Woland


Pierre Boileau et Thomas Narcejac ont formé l'un des tandems les plus fameux de la littérature policière mondiale. Et en prime, tous deux - le premier nous a quittés en 1989 et le second en 1998 - étaient français . Ils sont à l'origine de toute une série de romans mêlant habilement une ambiance savamment inquiétante, à la noirceur progressive ainsi qu'à une rigueur dans l'intrigue policière que le pays de Descartes était peut-être le seul à pouvoir engendrer . Seul ingrédient qui n'a rien, lui, de cartésien et dont les deux auteurs ont souvent épicé leur sauce : un minuscule grain de fantastique, si petit, à vrai dire parfois si infime qu'on a du mal à le saisir et, quand on l'a saisi, à se demander si, vraiment, il existe bien.

Quelque chose comme un subtil décalage.

Si l'on parle au néophyte de Boileau-Narcejac, en général et complètement extasié, il vous répond : "Les Diaboliques", dont le titre original est "Celle qui n'était plus" et que j'ai placé par exception dans mes "Petites Fiches", car, sortant d'une séance du film démoniaque de Clouzot, je me sentais alors foncièrement incapable d'établir une fiche objective sur le roman, à la fois si proche et si éloigné de l'intrigue imaginée par le cinéaste. Mais rien ne prouve que je n'y parviendrai pas un jour ! ;o)

Pour en revenir aux "Magiciennes", déjà, le titre peut faire rêver, surtout avec cette couverture (à vrai dire antique mais que j'apprécie énormément) du Livre de Poche. Mais en fait de magie, vous n'y trouverez que celle qu'aiment tant Boileau et Narcejac, à laquelle ils ont élevé tant de temples peuplés d'authentiques joyaux d'encre et de papier : celle du Destin. Remarquez, c'est sans doute la pire et on ne peut absolument pas lutter contre elle. Dès le prologue du livre, on comprend que les foudres de Dame Destinée vont frapper quelque part un ou plusieurs malheureux qui ne s'y attendent plus. Et comme Boileau et Narcejac auraient fait d'excellent aboyeurs de foire, on écarte le panneau de la tente devant laquelle ils nous font la retape et l'on s'engage, le pied un peu trébuchant mais déjà frétillant d'aise, dans le premier chapitre.

Cela commence par les années de collège, années bien tristounettes, du jeune Pierre Doutre, fils du Professeur Alberto, un prestidigitateur dont nul, dans le métier, ne niait l'immense talent mais dont tous regrettaient, sa femme la première, qu'il se refusât à moderniser son numéro. le Professeur Alberto était un pur. Il savait bien que tout n'était que travail, application, habileté avec, néanmoins, il fallait bien l'admettre sans trop savoir à chercher qui vous l'avait offert, un "don" au départ. Mais Alberto voulait des épures, de la véritable poudre d'or pour illuminer ses tours, pratiquement de la voltige sans filet : il voulait la Magie au naturel.

Forcément, ses affaires, qui marchaient si bien au début de sa carrière, avaient périclité. le public réclame toujours du nouveau, quelque chose qui le passionne, qui le fait frissonner et même hurler d'horreur encore plus fort qu'à la dernière représentation. Usé par les soucis, la vie et ce qu'il considérait probablement comme une forme d'ingratitude de la part des spectateurs, le Professeur Alberto meurt d'une crise cardiaque. Pierre, qui est maintenant un adolescent d'environ seize ans, rejoint sa mère - laquelle n'accompagnait jamais Albert lors de ses visites au collège - et il tombe sur une femme encore belle, mais à qui l'âge, malgré sa profession, n'a pas épargné les kilos superflus, une femme de tête cependant qui lui fait part de ses plans. Lui, Pierre, doit apprendre le métier et alors, on montera un numéro fabuleux ... Ce numéro après lequel, de droite à gauche et de gauche à droite, aux quatre coins de leur immense chapiteau terrestre, courent depuis l'Antiquité tous les Enfants de la Balle qui se respectent.

Mis au point et très attractif, le numéro nécessite la présence de deux jumelles : Greta et Hilda. Refusant de s'habiller différemment l'une de l'autre, de se coiffer même différemment, et n'ayant reçu de la Nature aucun signe pour les différencier l'une de l'autre (à moins que leur mère, décédée, n'ait emporté ce secret dans la tombe), elles sont parfaitement, authentiquement, implacablement jumelles. Croit-on s'adresser à l'une qu'on se rend compte, sur l'éclat de rire qui la saisit, qu'on s'est une fois de plus trompé. Si cela exaspère dans la vie courante, sur les planches, c'est parfait et le public est persuadé qu'il ne voit jamais qu'une seule et même jeune fille. le succès est énorme ...

Mais bien sûr, la jeunesse étant ce qu'elle est, il faut que Pierre tombe amoureux de l'une des filles. de laquelle, d'ailleurs ? Il n'a, pour le savoir, que les seuls dires de son aimée. Et puis, il tombe amoureux de l'autre. Et le voilà qui en arrive à courtiser les deux, se livrant pour se faire à l'art délicat, millimétré, du mensonge acrobatique ... Et puis ... Cela tourne au cauchemar car les deux soeurs, si proches l'une de l'autre, sont aussi horriblement jalouses. Un soir, alors que la caravane et ses habitants se reposent après le souper, au frais, sur la route qui les conduit à une ville où les attend un autre engagement, Hilda est trouvée morte. Etranglée par la fameuse "corde du Fakir." Techniquement - et, sur ce plan, les gens du voyage sont aussi experts que les policiers - c'est impossible mais le résultat est bel et bien là. Mieux vaut donc opter pour la prudence, ne pas prévenir la gendarmerie et inhumer le plus profondément le cadavre de la pauvre Hilda.

Bien entendu, tout cela ne sera pas sans conséquence sur le numéro mais en ce qui concerne la vie quotidienne du petit quatuor désormais réduit à un simple trio, avec cette ombre blonde toujours présente dans les coins ... Greta n'est plus la même, un rien la fait sursauter et elle finit par se suicider, en utilisant la même corde que sa soeur - jumelles jusque dans la Mort. Vladimir, fidèle homme à tout faire qui suit les Alberto depuis la fin de la guerre, sent les ennuis arriver par bataillons entiers. Odette, elle, la mère, la "chef de meute" pourrait-on dire, tente vaille que vaille de maintenir la stabilité. Quant à Pierre, sa mutation est ... Ma foi oui, épouvantable.

... Mais ne serait-ce pas parce qu'il a toujours été épouvantable ? ...

C'est indéniable, il y a, chez Boileau-Narcejac, quelque chose qui rappelle Simenon. Non dans la technique de l'analyse psychologique, si poussée et en même temps si naturelle chez le Belge, mais dans la platitude tranquille, presque anodine du style et dans la noirceur volontaire et concentrée de l'histoire. Encore serait-il plus exact de rapprocher les policiers de Boileau-Narcejac des romans purement psychologiques de Simenon. le trait est beaucoup moins ample, ici, c'est pratiquement de la miniature et l'on ne sent pas les Français désireux de vivre la vie de mille personnages. Par contre, la vie de ceux qu'ils créent, ils entendent bien la traquer jusqu'au bout. Autre trait qui différencie profondément les deux oeuvres : le Liégeois est noir, glauque mais il est rarement cruel. Chez lui, ce sont les personnages qui le sont tandis que, chez Boileau et Narcejac, on discerne bien que la cruauté est un plus pour les auteurs, un plus dont ils ne sauraient se passer et qui fonde leur particularité.

J'espère vous avoir fait comprendre la différence que j'aperçois entre les deux (ou plutôt les trois) créateurs. Mais je ne saurais trop vous recommander de vous faire une idée personnelle, bien entendu. "Les Magiciennes", s'il n'est pas le meilleur du tandem, constitue en tous cas un bon début. Allez donc y jeter un coup d'oeil. ;o)
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