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Critique de LeScribouillard


Top ! Je suis un auteur de bandes dessinées extrêmement talentueux dont le blog C'est pour ma culture vous rebat les oreilles, c'est incroyable comme cet article manque d'originalité, à croire que l'auteur n'en a plus rien à foutre des nouveautés littéraires, je suis ?… je suis ?…
Alan Moore ?
— Eh non, perdu, ça, c'est pour la semaine prochaine ! C'est bel et bien de Frank Pé dont nous allons parler cette semaine (eh oui, encore), avec son oeuvre-phare Zoo, une trilogie scénarisée par Bonifay et aimablement réunie en intégrale par son éditeur Aire Libre, mais sans les couvertures des différents tomes (quelle indignité. Nous sommes sur le service public). Un de ces livres qu'on ne lit jamais par peur d'être déçu. Un de ces livres dont on préfère attendre le moment idéal pour réellement en saisir tout le plaisir et toute la profondeur. Et puis vient le moment où le mal-être de votre quotidien vous fait bien comprendre que ce moment ne viendra jamais, et que vous avez besoin maintenant de quelque chose qui vous redonnera un peu d'espérance en l'Humanité.
Destination donc le Zoo des Roches dans la Normandie des Années Folles, un établissement bâti dans le plus pur style Art Nouveau, sorte de jardin d'Éden où les végétaux se confondent avec l'architecture et les êtres humains avec les animaux. On y découvre Célestin, vieux médecin ayant réussi à s'en faire le patron, et dont la bonté d'âme envers les animaux n'a d'égale que celle envers sa fille adoptive ; Buggy, artiste talentueux construisant des forêts entières de sculptures que ne renierait pas Jacques Abeille ; Anna, femme sans nez suite au drame l'ayant chassé de son village de Russie et qui devra prouver au monde entier que son existence ne se résume pas à un handicap ; et bien entendu l'extraordinaire, l'inoubliable Manon, fille de Célestin et amante de Buggy, dont la joie, la fraîcheur et l'osmose avec le monde sauvage est aussi bien transmise que dans l'album-hommage où l'auteur dévoilait bon nombre d'autres dessins dont elle était l'héroïne.
Et pourtant l'espoir n'est pas toujours au rendez-vous dans Zoo : difficile de faire rentrer de l'argent dans les caisses malgré l'admiration des quelques visiteurs, la guerre menace d'éclater, et l'entretien des animaux sauvages est toujours rude. L'omniprésence du noir & blanc et du sépia vient souligner cette morosité de la vie contre laquelle se battent les quatre héros, tandis que le cadrage alterne entre de vastes tableaux pour montrer le grandiose de ce qu'ils sont parvenus à construire et des cases bien plus réduites pour montrer les évènements du quotidien et les craintes intérieures.
Ce sont donc ces personnages attachants que nous suivons à travers ces quelque 200 pages, principalement à travers une succession de tranches de vie montrant le développement de leur microcosme. Un peu comme Château-l'Attente ? Oui, sauf qu'ici on prend les sujets qui fâchent à bras le corps. La violence est montrée dans toute sa crudité, les problèmes du quotidien ne se résolvent pas toujours de façon heureuse, et quand on parle d'amour, c'est un érotisme échevelé et débordant de tendresse qui s'offre à nous. Pas de demi-mesure ici. Pas de bienveillance gratuite. Seulement un amour puissant, douloureux, croissant à mesure que se rapproche une tragédie inéluctable.
Viennent quand même se poser quelques questions politiques. Face aux militants animalistes pointant du doigt le fait que les zoos enferment des animaux pour les montrer en spectacle, l'auteur a toujours soutenu qu'il s'agissait d'un des rares endroits au monde où pouvait se tisser une véritable amitié interespèces. Facile à dire quand on n'a pas quatre pattes : ces mêmes militants soulignent que les animaux n'ont pas une aire de vie aussi vaste qu'à l'état sauvage, ce qui limite considérablement leur liberté (et je vous épargnerai l'épisode des zoos humains, de sinistre mémoire). Heureusement, si le zoo avait été remplacé par un refuge pour des animaux maltraités en cirque en attendant les transports qui pourraient les relâcher dans leur milieu d'origine, ça n'aurait pour ainsi dire rien changé à l'intrigue. Autre possible polémique : je suis un fervent admirateur des portraits de Manon, mais le fait de la voir fréquemment poser devant des animaux africains alors qu'elle est métisse me laissait craindre une certaine fétichisation. C'est nettement moins présent dans cette bande dessinée, même si son côté à la fois très mûr et très enfantin pourra peut-être faire tiquer quelques lectrices.
Je ne sais pas comment vieillira Zoo. Ce que je sais, en revanche, c'est que cet ouvrage aura réussi à m'émouvoir bien au-delà des attentes déjà élevées que j'en avais, et c'est les yeux souvent chauds et humides que j'ai tourné avec réticence les pages d'un des livres qui traitent le mieux selon moi de l'amour paternel, de l'amour en couple, du deuil, et de tant d'autres choses que je vous laisse découvrir. Je n'avais pas ressenti de telle expérience depuis mes premiers Terrence Malick et éventuellement Violet Evergarden. Autant vous dire qu'avec ça Frank Pé continue d'être pour moi un immense auteur. Décidément, je ne vais plus avoir plus grand-chose à lire de lui ; voilà ce qui arrive quand on a trop de culture…
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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