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Critique de ladymuse


Ayant des difficultés à me situer par rapport à ces nouvelles "philosophiques", je me suis tournée vers la "mimisis" chez Platon et Aristote. (fingere, entre autres : « feindre », « faire semblant », « inventer », « se figurer », "imaginer ». Permettez-moi de vous en faire bénéficier (:)) et de citer ici wikipedia :

"Dans le livre X de la République ... Platon s'interroge sur la représentation, qui n'est selon lui qu'une piètre copie de la réalité et insiste sur la primauté du réel et de la vérité. Il établit une hiérarchie de trois degrés par rapport à l'existence réelle des choses. Premièrement, il y aurait le monde des Idées. Les Idées sont les réalités immuables, éternelles, qui seules sont vraies. Elles sont la nature profonde des choses, leur essence. Elles sont l'intelligible derrière le sensible. Elles découleraient de l'Idée du Bien et le Démiurge serait celui qui les aurait formées (voir le dialogue intitulé Timée). Deuxièmement, viendraient les choses sensibles, manifestations visibles des Idées. Elles en sont les modulations, et participent aux Idées, sans toutefois les représenter adéquatement. Les artisans, pour fabriquer les choses sensibles, doivent avoir une croyance juste de ce que sont les Idées, et s'en inspirer. Sans les saisir parfaitement, un artisan connaît approximativement ce qu'est une Idée, et c'est en la contemplant qu'il pourra fabriquer une belle chose. Platon donne l'exemple du lit. C'est en se tournant vers l'Idée du lit que le menuisier est à même de construire une copie matérielle imparfaite de l'Idée du lit, qui sera néanmoins fonctionnelle. Troisièmement, viennent les imitations des choses sensibles. Platon prend l'exemple du peintre, qui pour peindre un lit, regarde le lit fabriqué par le menuisier, et non l'Idée du lit. Il copie donc une chose qui est déjà une copie. Non seulement cela, mais il le fait sans rien savoir sur le lit : il n'est pas nécessaire d'avoir une croyance exacte de la chose pour la représenter. le poète serait comme le peintre: il chante les guerres, les exploits des grands hommes, les amours et les peines, sans nécessairement savoir de quoi elles relèvent ni avoir contemplé les Idées dont elles participent.

Les arts d'imitation sont « [...] donc doublement éloigné[s] du vrai », et c'est en raison de ce statut ontologique faible qu'ils sont bannis de la cité. Étant donné que la connaissance du vrai implique chez Platon une connaissance du bien, les arts imitatifs, en tant qu'ils déforment cette réalité des Idées, opèrent donc sur l'âme un détournement épistémologique et moral".

Pour Aristote en revanche il s'agissait d'une méthode d'apprentissage par "imitation" (Poétique).
Vers la fin du moyen-âge l'église catholique dénonçait la comédie dont elles condamnait les excès. Les mêmes arguments sont utilisés de nos jours pour condamner les jeux vidéos trop réalistes et violents.

Or, nous sommes justement loin de la réalité dans les nouvelles de Borges qui font plus penser, à mon humble avis, à la rigueur de l'axiomatique, ou plutôt à une anti-axiomatique sous prétexte d'une logique imparable, qui nous mène à en accepter les prémisses comme bien fondées et leur conclusion certaine. Ainsi la Compagnie de la Loterie n'a "JAMAIS EXISTÉ ET N'EXISTERA JAMAIS". Dans "La bibliothèque de Babel", l'auteur commence par rappeler deux axiomes : le bibliothèque existe ab aeterno, le nombre des symboles orthographiques est vingt-cinq (en fait, nous dit l'auteur dans une "note", la virgule, le point et l'espace complètent les vingt-deux lettres de l'alphabet).. S'ensuit une énumération de toutes sortes de "superstitions" (ex : "IL DOIT EXISTER UN LIVRE QUI EST LA CLEF ET LE RÉSUMÉ PARFAIT DE TOUS LES AUTRES"), grâce auxquelles l'auteur échafaude une théorie complexe qui se solde par un paradoxe "LES MÊMES VOLUMES SE RÉPÈTENT TOUJOURS DANS LE MÊME DÉSORDRE-- QUI, RÉPÉTÉ, DEVIENDRAIT UN ORDRE : L'ORDRE.

C'est là que réside tout le génie de Borges. Il entretient dans notre esprit, avec une imagination débordante et une profusion de détails, en s'appuyant sur les liens "logiques" entre des prémisses douteuses, une confusion permanente. Il nous fait entrevoir l'infini à travers une création ad infinitum. Il ouvre des voies toujours nouvelles, fait disparaître des mondes et en fait surgir d'autres .

"DANS TOUTES LES FICTIONS, CHAQUE FOIS QUE DIVERSES POSSIBILITÉS SE PRÉSENTENT, L'HOMME EN ADOPTE UNE ET ÉLIMINE LES AUTRES" (Le jardin aux sentiers qui bifurquent). Borges, lui, nous les fait adopter toutes "SIMULTANÉMENT". Ou plutôt il nous force à le suivre dans ce chemin "INEXTRICABLE" où tout est possible."Le temps bifurque perpétuellement vers d'innombrables futurs".

"Délire laborieux et appauvrissant que de composer de vastes livres....Mieux vaut feindre que ces livres existent déjà et en offrir un résumé, un commentaire...." nous avertit non sans humour l'auteur dans son prologue. Nous trouvons dans ces "huit pièces" du symbolisme, du fantastique mais certainement pas de réel.

Dans cette optique on ne peut que mieux apprécier encore ce choix du titre : FICTIONS. Ou plutôt la Quintessence de la fiction puisqu'elle va au-delà de la conception platonicienne de la Mimimis (Idée, représentation de l'objet à travers la métaphore du lit), TOUT étant lié dans un monde sans fin dans lequel le temps et l'espace perdent leur valeur de repère, d'où l'impression de vertige qui est la nôtre à la lecture de ces nouvelles qui sont, chacune, des bouquets d'ARTIFICES.



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