Citations sur Une araignée dans le rétroviseur (16)
Je poursuis. La route tente des rondeurs sinueuses. De douces descentes s'amorcent, de timides côtes leur succèdent. Les mêmes boîtes à quatre roues me précède et les mêmes fourmis, aux yeux hagards jaunis, me suivent, comme apeurées.
J'aperçois enfin au loin les deux clochers élancés. Le premier virage les efface. Et puis soudain, passé le petit pont après la courbe, la porte de mon enfance s'ouvre. Au bout de mon regard se dressent, avec fierté, les hauteurs prétentieuses de la ville et ses anciens vestiges. Encerclée de maisons soudées dissimulant une fourmilière de visages connus, telle une gouvernante autoritaire, elle dirige.
Soudain, des bruits secs et saccadés. Je reconnais la mélodie de Monsieur Pivert. J'écoute et mes yeux clos devinent la cachette du musicien. Une recherche attentive et scrupuleuse sous les arbres n'aurait pu me guider aussi précisément sous la branche porteuse de mon ami chanteur. Je contrains mes oreilles à percer la brume qui obstrue mon regard, je sollicite ma vue pour graver une odeur, et j'allèche mes narines pour faire surgir les émotions. Je suis forte, pleine de vous. p. 54
Assise sur la première marche de l’escalier de bois, j’entends à nouveau des rires, des ébats dans l’eau glaciale, j’entends les cris de joie et de frayeur. Je laisse, peu à peu, s’échapper de mon corps les secousses d’un fou rire. Il grandit et l’enfance enfermée explose en plein jour.
Je déniche, dans ce regard gris cendré, les vagues déferlantes d’un romantisme étouffé, des amours de violettes et des mots bien posés. Je sens, presque au bout de mes doigts, un amour interdit, enfoui, balayé.
Le Secret est présent, je le sens, il es partout tout à coup. Le mien est verrouillé, oublié dans une valise imaginaire, cachée dans le grenier de ma maison intérieure. Je comprends enfin la raison de ce retour.
La clé.
Je dois faire resurgir la clé qui détient la vérité. Comme celle gardée dans la poche d’un vieux vêtement que l’on endosse chaque jour.
Dans cette cuisine où tout encore porte sa trace, j’aimerais revoir, ne serait-ce qu’en songe, cette vieille femme aux cheveux gris préparant le repas du dimanche.
Elle épluchait les légumes du jardin, étêtait les gousses d’ail avec dextérité. Seule l’arthrose a eu raison de sa main à la peau fine et vieille. Le vieux couteau retirait toutes les parties croquantes et indélicates d’une laitue. Ne restaient alors que les tendres feuilles vertes et jaunes qui finissaient dans des bains d’eau fraîche.
La rive de mon enfance est accessible, je pourrais y retourner.
Le lien se fait. Tout prend sens.
Je venais en ces lieux, retrouver un passé, je découvre un chemin.
Il est temps de rejoindre Saint-Martin.
Quelle ivresse soudain de laisser la porte de mes souvenirs grande ouverte, de laisser sortir ce qui, tapi derrière celle de mon enfance, était blotti. Ici je libère, je crie et je hurle. Je dépose la plainte, je fais enregistrer les sévices. Ici, commence le chemin.
Il me faut laisser béante cette porte violemment refermée, ne plus craindre le pire. Il me faut dénicher les émotions barricadées. Il me faut évacuer la peur froide et glaciale de l'abandon. p. 42
Je retrouve le beau vieux Sapin et sa branche élue. La grosse corde épaisse a disparu et n'a laissé que quelques traces d'encoches. Où est-elle aujourd’hui? Dans le grand placard avec les vieilles espadrilles dépareillées, les bottes en caoutchouc, les raquettes rafistolées, les vieux gilets oubliés, les cannes à pêche, le bateau gonflable? p. 16