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Critique de albufera


Le dossier M dont la lecture entraîne une immense jubilation est la quintessence de l' introspection qui, sans être nombriliste, dépasse très largement les récits d' auto-fiction qui font vivre le genre. Grégoire Bouillier annonce la couleur en revendiquant l' exclusivité de sa subjectivité qui seule permet de saisir la réalité constituée par la perception. Au delà de la sincérité, une forme de vérité, peut-être la seule. C' est le récit intime et social d' un amour non consommé entre M. et l' auteur aujourd' hui cinquantenaire. Un raté amoureux grand-guignolesque qu' aucune errance sexuelle -à la fois cause et conséquence- ne parvient à éteindre. S' empilent devant nous les pièces du dossier M. consignant d' abord la rencontre puis la dérobade de M. dont il échoue à faire sa maîtresse. l'' enquête se poursuit alors là où normalement tout s' arrête en littérature. Que se passe-t-il une fois qu' ils ne vécurent pas heureux et qu' ils n' eurent pas d' enfant ?

Le tragique de cette histoire nait de l' incertitude de ce qu' est l' amour sur fond de liberté sexuelle qui ne connaît plus les obstacles de la morale, à peine ceux de la séduction à l' ère du web et de la disponibilité des corps. L' auteur tente pourtant de nous convaincre du contraire, écrivant de façon récurrente que l' amour ne serait que la continuité du désir sexuel par d' autres moyens plus policés. Mais l' épopée de Grégoire Bouillier vient jeter le doute à la lecture des pièces versées au dossier M qui gagne inexorablement en épaisseur selon différents niveaux marqués par des chiffres. On comprend très rapidement que le dossier M ne peut-être que l' interminable récit littéraire de impossibilité d' aimer et d' être aimé qui frappe Grégoire Bouillier, moteur d' un texte sans fin comme une cure analytique peut l' être , puisque cet amour malheureux est le prisme à travers lequel l' auteur vit et pense chaque acte de son existence présente, passée… et future. N' est-il pas condamné à une "peine de 10 ans » prononcée par une voix en conclusion du volume 1? le tome 2 le dira peut-être. Car nous ne sommes sûr de rien, pas plus que l' auteur ne l' est lui-même. Une incertitude qui nourrit l' intérêt qu' on porte au dossier M. dont l' effet sur le lecteur est paradoxal: tout y est analysé minutieusement à la loupe et disséqué avec le scalpel du chirurgien sans que nous sachions au final ni pourquoi il a été quitté, ni ce qui se serait passé s' il ne l' avait pas été.

La grande idée de Grégoire Bouillier est de lier son destin et ses pensées à son "éco-système" social au lieu de se contenter d' une psychologie individuelle. On cherchera en vain les mots de la psychanalyse, même s' il est question d' une scène primitive puis d' un traumatisme récurrents tout au long du livre: une mère suicidaire et un suicide obsédant dont l' auteur veut connaître sa part de responsabilité. Grégoire Bouillier forge ses propres catégories psychologiques, liant son être intérieur et son destin individuel à l' air de son temps -le nôtre- qui laisse peu de place au libre arbitre. La liberté se confond avec l' ignorance des causes et cesse là où nous commençons à les comprendre. Son analyse des années 80 -années du passage pour l' auteur à plus de maturité - est d' une grande pertinence sociologique et d' une grande drôlerie dans un livre qui ne manque pas de susciter le rire: nous sommes passés de Zorro à Dallas, du héros individuel au salaud devenu héros, ce qui ne manque pas de déteindre sur les comportements collectifs, sans qu' on sache très bien démêler cette dialectique. Mais qu' importe de savoir distinguer le miroir de ce qui s' y reflète.
La langue de Grégoire Bouillier crée une intimité avec le lecteur, souvent interpellé, sur un registre oral en apparence seulement: la fluidité du texte est assurée par un travail certain sur la langue. Ce livre n' aurait pu être qu' une logorrhée indigeste mais la finesse d' analyse qui s' accompagne de digressions plaisantes et d' une diversité de formes stylistiques -énumération, poésie, retranscription de mail…- relance sans cesse notre intérêt et notre admiration.
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