Citations sur Le troisième jour (19)
La musique, ici, ne sert à rien. Trop de cailloux, trop de sable, un monde primaire.
Notre groupe est uni par l'enfance, le jeu et les balades dans le pays, mais hétérogène politiquement : Elena et Michaël militent à La Paix Maintenant, Gabriel et Nourit sont partisans d'un Israël fort, Tamar s'en fout. Dans dix ans sans doute, nos conviction politiques nous auront séparés. Mais pour l'instant, notre amitié survit à tout.
Le mariage est la hantise des femme de la région, qu'elles soient arabes ou juives. Les Arabes sont mariées par leurs parents, presque contraintes. Les Israéliennes ont beau être libres, décrocher des galons à l'armé et occuper dans le civil des postes influents, elles ne pensent qu'à convaincre leur amant d'officialiser leur liaison.
Si Nourit m'avait interrogée cinq minutes plus tôt, j'aurai parlé comme un torrent de mes attentes, de mon studio à New York, de mes amis, de mes amants... Mais plus je regardais les remparts, les futs des cyprès, les cubes des maisons arabes dispersées comme des légos sur les collines, plus je comprenais que, d'une certaine manière, j'étais à sec.
J'ai marché sur les cendres de mon père, avalé celles de mes sœurs, respiré celles de mes frères. J'ai été couverte de fumée et de cendres pendant deux ans. Si Dieu existe, pourquoi a-t-il permis ce malheur ?
J'avais oublié qu'en principe nous étions ennemies. Qu'il y a entre nous le manque de paix, les pneus brûlés des enfants de Gaza, les tirs de nos soldats à Hébron, à Jénine et Ramallah, les jets de caillasse des adolescents masqués sur tout ce qui porte l'uniforme de Tsahal, sur toutes les voitures, civiles ou militaires, des Israëliens. J'avais oublié. Je suis partie trop longtemps. Pour moi, cette terre, c'est seulement celle que j'appelle Eretz, Terre.
Elle va devant elle, de la musique plein la tête, celle qu'elle se jouait pour échapper à la souffrance, qui était sa bouée, sa balise, sa corde dans la nuit.
J'ai senti la peau douce de Jérusalem apparaître derrière les pierres blanches, puissantes et râpeuses des murailles. Une peau douce derrière l'os de la ville. Des centaines d'hommes sont morts pour ce sanctuaire. Des milliers de jeunes gens de vingt ans y ont été blessés. Mais rien n'a changé dans la cité. Incroyable paradoxe, territoire paradoxe d'une civilisation qui s'interdit de déplacer une pierre de la ville, mais qui accepte qu'on meure pour elle.
Les mots en arabe ont sur moi un pouvoir mystérieux, une portée plus forte que l'hébreu, le français ou l'anglais. Ils sont la griffe de l''exil, du temps avant le temps de ma vie.