Citations sur Le troisième jour (19)
Et un déclic s'est produit. J'ai soudain compris que j'étais à Jérusalem, que je me présentais devant Jérusalem. Dans cette ville qui m'avait connue enfant, cette ville où j'avais perdu mes dents de lait, senti mes seins pousser et où les premiers baisers de mon amant m'ont embrasée. [...] Et la mélancolie du concerto s'est dévoilée, envoûtante, trop tardive. J'ai entendu la voix secrète du compositeur, son dernier adieu à la femme qu'il avait aimée. C'était une musique sans cadres, sans structure, une musique d'exilé qui parlait de la fragilité des êtres, de la durée trop courte du bonheur.
Le bonheur n'efface pas le désespoir. Il s'écrit dessus.
J'ai senti la peau douce de Jérusalem apparaître derrière les pierres blanches, puissantes et râpeuses des murailles. Une peau douce derrière l'os de la ville. Des centaines d'hommes sont morts pour ce sanctuaire. Des milliers de jeunes gens de vingt ans y ont été blessés. Mais rien n'a changé dans la cité. Incroyable paradoxe, territoire paradoxe d'une civilisation qui s'interdit de déplacer une pierre de la ville, mais qui accepte qu'on meure pour elle.
Les mots en arabe ont sur moi un pouvoir mystérieux, une portée plus forte que l'hébreu, le français ou l'anglais. Ils sont la griffe de l''exil, du temps avant le temps de ma vie.
Je l'ai vue tomber, les jambes repliées sous elle, et son corps avait la forme d'un violoncelle brisé.
Toute la musique s'est tue.
Elle va devant elle, de la musique plein la tête, celle qu'elle se jouait pour échapper à la souffrance, qui était sa bouée, sa balise, sa corde dans la nuit.
Il n'avait que quelques billets dans son portefeuille, mais assez d'argent tout de même pour s'offrir une petite semaine sur le sol de Molière. En une semaine, il aurait largement le temps de récupérer, de réfléchir, de préciser quelques données de ce futur sur lequel, pour la première fois de sa vie, il fonçait comme un bolide. Une semaine, sept jours. Les Israéliens avaient mené une guerre de six jours. Il demandait le même temps pour voir venir.
Notre groupe est uni par l'enfance, le jeu et les balades dans le pays, mais hétérogène politiquement : Elena et Michaël militent à La Paix Maintenant, Gabriel et Nourit sont partisans d'un Israël fort, Tamar s'en fout. Dans dix ans sans doute, nos conviction politiques nous auront séparés. Mais pour l'instant, notre amitié survit à tout.
Toccata de Bach. Aux frontières de l'abîme, Bach. Il la fait chercher. Joue. Dès qu'elle se tait, il la menace d'une voix douce, de lui trancher les doigts. Joue. Joue encore. Elle joue. Elle ne joue pas pour lui. Elle joue pour ses frères, dehors. Pour le camp tout entier où, le dos ployé, la diarrhée coulant entre leurs jambes, marchent les condamnés.
Je l'ai regardée réchauffer la graine dans une poêle au revêtement adhésif rayé. Elle a pris une assiette ébréchée dans le vaisselier, l'a posée sur la table couverte de miettes, elle est partie vers l'évier, elle s'est emparée de l'éponge, a soulevé l'assiette et nettoyé la table.
J'observais tous ses gestes avec un intérêt considérable car je comprenais pourquoi je fais, moi aussi, tout à l'envers : je commence par peindre un mur avant de me décider à protéger le sol, je me présente à un concert sans répéter, mais les salutations achevées, je saute sur mes partitions et je travaille comme une forcenée.