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Critique de raton-liseur


Grâce à ce livre, je découvre un éditeur, Les ateliers Henry Dougier, et une collection, Une vie, une voix, qui raconte le destin ordinaire de personnes d'une génération dont les derniers représentants sont en train de disparaître. Cette collection compte actuellement sept titres, et c'est le dernier que l'éditeur m'a gracieusement envoyé dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babelio, que l'un et l'autre en soient remerciés, et excusent ma note de lecture un peu tardive.
Note de lecture tardive non par désintérêt pour le livre, bien au contraire. Peut-être justement parce que le travail du bois me fascine tellement que j'ai mis à profit les quelques semaines de liberté que j'ai eues au mois de juillet pour me lancer dans la rénovation de meubles en bois. Beaucoup d'amateurisme, mais, alors que j'étais en train de poncer puis de cirer mes meubles, imaginant déjà le plaisir que j'aurais à les voir chaque jour et à les utiliser, m'extasiant devant les changements de texture et de couleur, je repensait à Francis, cet homme d'un petit village de Mayenne, qui a passé toute sa vie à travailler le bois. Ce préambule pour donner un peu le contexte dans lequel j'ai lu ce livre et pourquoi j'ai eu envie de le lire, certainement pas pour tenter une comparaison entre cet artisan qui a consacré sa vie professionnelle à son art et mon amateurisme de fraîche date.
Et je crois que c'est ce contraste entre ma fascination toute naïve et bien peu éclairée et ce savoir-faire profondément enraciné dans une pratique quotidienne qui explique que j'ai aimé cette lecture, alors que je n'y ai pas trouvé ce que je m'attendais à lire. Avec la présentation de l'auteur, je m'attendais à lire le récit de la vie d'un homme, honnête artisan dans sa campagne natale, avec les joies et les malheurs que compte toute vie. Mais il ne faut surtout pas s'attendre à un récit linéaire. Et nous saurons peu, finalement, des menus événements qui ont marqué la vie de Francis Renard. Car on entend beaucoup la voix de l'auteur, Pierrick Bourgault, qui mèle aux évocations de Francis, sa propre fascination pour ce monde disparu ou en train de disparaître.
Ce livre, qui évoque la dureté du travail d'alors mais aussi la fierté du travail bien fait, est aussi une méditation sur la façon dont nos vies ont évolué. Et c'est intéressant de voir, en creux, la nostalgie dont fait preuve l'auteur, qui est peu ou prou de ma génération, et les sentiments plus mêlés, plus complexes, de Francis Renard, qui fêtera ses 97 ans cette année. Francis a vu l'évolution des modes de vie : sa maison est meublée avec du formica, il a vu l'eau courante arriver, il a vu son métier se motoriser et donc se transformer. Il est nostalgique de la façon dont les campagnes ont évolué, avec sa population clairsemée, le manque de temps pour un oui ou pour un non, mais il ne regrette pas le progrès technique et ne souhaite pas revenir en arrière.
En définitive, ce livre n'est pas le récit de vie que j'attendais, mais il y en a déjà beaucoup de ces livres, mais c'est une méditation sur l'évolution de nos métiers, de nos modes de vie, des valeurs que ces métiers et ces modes de vie reflétaient. Une méditation qui prend son temps, sur une bonne centaine de pages, une méditation émaillée de quelques termes techniques qui évoquent les ébénistes et les charrons d'autrefois, de quelques détails, comme le café et les biscuits secs offerts aux visiteurs de passage, la vieillesse qui limite l'espace dans lequel les corps se meuvent. C'est un livre que l'on peut lire avec toute la nostalgie qu'y met Pierrick Bourgault ou sans nostalgie en suivant Francis Renard qui voit les évolutions, en prend acte et continue de voir le monde avancer. Ces deux voix, qui peuvent sembler contradictoires se mélangent harmonieusement dans ce livre, sans que l'une prenne le pas sur l'autre, rendant la lecture équilibrée et complexe, permettant de prolonger la sérénité de la lecture par une réflexion sur notre société telle qu'elle va, pas les grands mouvements sociaux qui font la une de nos journaux, mais l'évolution lente mais continue de ses fondements.
Et un livre qui donne envie de passer sa main sur un meuble travaillé, de sentir la courbure parfaite d'une roue ou la moulure délicate d'un meuble. D'ailleurs, je m'arrête là, car j'ai un plancher à aller cirer !
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