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Critique de kuroineko


Livre lu dans le cadre de l'opération Masse critique. Je remercie Babelio d'avoir validé mon choix et les éditions Mnémos pour l'envoi de cet impressionnant pavé (le papier épais donne l'impression d'un ouvrage de plus de mille pages).

Du point de vue de la forme, j'aurais à déplorer la présence de trop nombreuses coquilles (lettres ou mots manquants, mots accolés, erreurs de lettres, etc). Ça n'empêche certes pas la lecture du texte mais c'est assez déplaisant.

J'en viens maintenant au fond. de Charlotte Bousquet, je n'ai lu jusqu'à présent - et grâce à de précédentes Masses critiques d'ailleurs - que des romans dans la veine réaliste. J'avais d'ailleurs été à la fois révoltée et enthousiasmée par Celle qui venait des plaines, histoire d'une métisse sioux au temps de la conquête de l'Ouest américain et de l'acculturation manu militari des enfants indiens.
J'étais donc curieuse et impatiente de la découvrir dans le registre de la littérature de l'imaginaire. J'y ai retrouvé les mêmes qualités de style et de conteuse. Je suis admirative des auteur(e)s comme elle, qui excellent dans des genres si différents.

Avec L'Archipel des Numinées, Charlotte Bousquet nous offre une trilogie fantasy noire et adulte. Pas de féerie ni de gentils elfes ici, pas plus que de preux chevaliers livrant combat pour et dans l'honneur. L'univers créé repose sur une inspiration mythologico-Renaissance avec des noms à consonance italienne, des architectures nobles tout droit issues du Quattrocento, un culte généralisé de la déesse Lune sous ses trois visages, reflétés par les triades conseillères des dirigeantes, les Moires ou Parques, des créatures sorties des mythes gréco-latins telles les stryges, les lamias, etc.

Chaque île est une principauté indépendante avec à sa tête une femme, exception faite d'Arachnae où la dernière princesse, avant de rendre l'âme, assassinée et sans héritière, couronna son frère cadet Alessio, au grand dam des tenants de la tradition... et des familles ambitieuses qui voyaient là une occasion de fonder une nouvelle dynastie. Ambiance sombre donc, crépusculaire, et les trois îles formant chaque tome de la trilogie - Arachnae, Cytheriae et Matricia - montre un nouvel exemple de civilisation qui sombre dans la déréliction. Orgies sanglantes d'aristocrates pervers et désabusés, rites barbares et abominables pour tirer des confins des Âges sombres une déité innommable, intrigues et complots politiques, crimes de créatures indéfinies, famille tarée, peste cendreuse dont les victimes se relèvent après trépas pour s'en prendre aux vivants, autant de plaies purulentes qui gangrènent la société et l'existence de l'archipel. Certaines scènes sont difficilement soutenables; j'en déconseille la lecture en cours de repas.

Il est également beaucoup questions du destin dans la trilogie. Déjà, le culte fondé sur les Moires avec la Fileuse, la Tisseuse et la Faucheuse, dirige voire manipule la destinée de tout un chacun pour des motifs parfois obscurs. Bon nombre de personnages possèdent des dons de clairvoyance, par des transes montrant l'avenir ou grâce aux arcanes du tarot de la Lune. Certains, comme Theodora, l'héroïne ombrageuse d'Arachnae, distingue les fils brillants des possibles et ceux qui la conduisent vers ce pour quoi elle a été élue. Malgré ses tentatives pour changer la donne et garder son libre arbitre, elle se retrouve prise dans la toile de la destinée. Les références à cette toile, arachnéenne et souvent dangereuse, sont récurrentes dans la trilogie. Elle prend même vie dans le nom et le tracé chaotique des ruelles du Labyrinthe d'Arachnae, capitale de la principauté du même nom. Mais l'idée d'une toile d'araignée où chaque personne doit s'avancer en prenant garde au moindre faux pas la transformant en proie se retrouve tout autant à Cribella, capitale de Cytheriae, à Messina comme à Matricia. C'est un monde très dangereux que l'Archipel des Numinées où magie noire, nécromancie, pouvoirs thaumaturges, créatures mortelles et pulsions mauvaises de l'espèce humaine se conjuguent pour malmener les populations.

Du côté des personnages, Charlotte Bousquet fait la part belle aux femmes. Sur les plans politiques, militaires, religieux, etc, elles occupent d'importantes places, voire la première. Il suffit de rappeler le caractère matriarcal de la direction des principautés. Ainsi que la nature féminine du culte de la déesse Lune, mise en péril ici par les rites démoniaques visant à ramener un dieu chtonien, Terre contre Ciel, débité mâle contre déesse mère.

Les protagonistes sur lesquels l'intrigue se focalise surtout ont en commun de traîner derrière eux un lourd fardeau, issu de leur passé ou de leur destinée comme pour Theodora. Ils avancent néanmoins avec courage, enquêtant sur les sombres rouages qui se mettent en place, sur les disparitions et meurtres atroces commis, luttant pour la pérennité de l'archipel : à Arachnae, outre Theodora, la voluptueuse Ornella, courtisane amoureuse, à Cribella la lieutenant de la Garde Noire Polissena Duccio aux pouvoirs telluriques du feu, le nécromancien chassé de son ordre Angelo et son amante Nola, qui ne peut chasser la souffrance intérieure qui l'écrase qu'en s'automutilant et par ses poèmes, à Leucosia, capitale de Matricia, la belle Dionisia, chamane et sorcière du destin, ...

A mon tour, en lisant les premières pages, je me suis laissée prendre dans la toile de l'Archipel des Numinées. Pour mon plus grand plaisir bien sûr. La trilogie n'est pas qu'action et chasse aux monstres - humains ou autres. le récit laisse le temps à des introspections et réflexions de ses protagonistes. Si, parfois, cela casse un peu le rythme, je n'en ai pas pour autant ressenti d'ennui. Mon seul regret viendrait plutôt de n'avoir pu suivre la suite de certains personnages du premier tome, où l'on a juste une idée de ce que la destinée leur réserve, à l'image d'Artemisia, la dernière fille du Prince Alessio d'Arachnae, enfant trop sage et aux pouvoirs impressionnants pour son jeune âge.

Un dernier point, enfin, pour remarquer les nombreux poèmes qui émaillent la trilogie. J'y ai trouvé un bonus incontestable, grâce à leur diversité de thèmes et de voix. Sonnets, pamphlets, poésie libre, Charlotte Bousquet a décidément plus d'une corde à son arc et il me tarde déjà de découvrir d'autres pans de son univers littéraire si riche.
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