Invisible met en scène le suicide adolescent au travers du personnage de Marie, une jeune fille très mal dans sa peau. Pourquoi avoir choisi de soulever ce problème particulier ?
L’adolescence, particulièrement durant les dernières années de collège, est une période particulièrement difficile, où l’on se sent à la fois mal dans sa peau, incompris. Fragilisé, on se sent parfois nul, inutile – avec des envies d’en finir avec la vie, qu’il s’agisse d’appels au secours ou d’un mal être beaucoup plus profond. On ne se suicide pas seulement parce qu’on est victime de harcèlement, parce qu’on est différent ou que l’on a subi des choses terribles. Ado, j’avais tendance à voir le monde en noir – et mon bref passage dans le monde de l’enseignement, même s’il s’agissait d’étudiants et non de collégiens, a été marqué par la mort de l’un d’entre eux. Je pense que c’est important d’en parler…
Marie se trouve grosse, laide, invisible aux yeux de tous. Est-ce, selon vous, un mal typique de l’adolescent aujourd’hui ?
Non. Je pense que le mal être est assez universel, traverse toutes les époques, ses formes changent – mais à peine.
Les parents de Marie ne sont que peu présents dans l’ouvrage. Doit-on y voir également un message à destination des parents vis à vis des adolescents mal dans leur peau ?
Les parents de Marie se débattent avec leurs propres problèmes (chômage, petit dernier compliqué à éduquer, etc.) et ne se doutent pas une seconde que leur fille, tranquille et autonome, ne va pas bien. Ils n’ont aucune raison de le voir, en fait. Celle qui pourrait se poser des questions, c’est sa sœur aînée, mais elle a seize ans et d’autres préoccupations – adolescentes, mais pas de même nature.
Alors, non, ce n’est pas un message à destination des parents…
Soan est le seul à redonner espoir à Marie, ses attentions sont les uniques moments qui lui donnent le courage d’essayer de s’en sortir. Sans dévoiler la fin de l’ouvrage, l’amour peut-il nous sauver de tout selon vous ?
Mon côté guimauve et Bisounours aurait tendance à répondre que oui !
La série d’ouvrages dans laquelle s’inscrit Invisible tourne autour du drame chez l’adolescent, les ouvrages sont très sombres. Pourquoi avez-vous choisi de confronter les jeunes lecteurs à une dure réalité ?
Mes textes, qu’ils soient destinés aux adultes ou aux adolescents, sont rarement des comédies, avec happy end et tutti quanti Il se trouve simplement que Les Graphiques sont nés avec une histoire réaliste, d’amitié amoureuse et homosexuelle… En réfléchissant au volume suivant, c’est le thème du harcèlement qui s’est imposé. Je souhaitais depuis longtemps évoquer le harcèlement, qui est un sujet qui me tient particulièrement à cœur, et je ne trouvais pas la manière de l’exprimer. Jusqu’à ce que…
Enfin, il nous a semblé, à Stéphanie Rubini, la dessinatrice, Paola Grieco, l’éditrice, et moi-même, que c’était une belle manière de faire passer certains thèmes, parce qu’ils font écho à des souvenirs, des situations, que l’on a tous connus.
Comment s’est déroulé le travail d’illustration ?
Stéphanie et moi, nous nous sommes concertées pour créer le personnage de Marie. Mais comme nous avons appris à travailler ensemble, moi en tant que scénariste, elle en tant que dessinatrice, sur ces bandes-dessinées, nous avons fait moins d’allers et retours que pour les opus précédents : le découpage était plus clair dès le début. Cela dit, Stéphanie a effectué un gros travail de recherches pour trouver l’univers graphique d’Invisible – des teintes douces sans être mièvres, de la tristesse sans jamais tomber dans le sinistre. Pour le dernier chapitre, nous avons de nouveau pas mal échangé, par Skype notamment.
A l’origine, vous venez plutôt du monde de l’imaginaire et de la mythologie. Pourquoi ce virement vers une littérature hautement réaliste ?
À l’origine, j’ai une thèse de philosophie, un premier roman réaliste, et un fanzine de jeux de rôles, pêle-mêle bien sûr. Ceci explique sans doute cela… plus sérieusement, si j’apprécie beaucoup l’imaginaire, je m’attaque d’ailleurs en début d’année prochaine à la rédaction d’un récit de fantasy, je n’aime pas m’enfermer, encore moins qu’on m’enferme, dans une catégorie, qu’il s’agisse d’adulte ou de jeunesse, de fantastique ou de réalisme. Pour mon travail d’autrice, c’est essentiel de varier, sinon, je m’ennuie, et quand je m’ennuie, ce que j’écris s’en ressent. Et puis, passer d’un scénario de BD à un roman historique, d’un roman historique à du noir contemporain me permet d’aborder des thèmes différents, de manière différente, de me poser des questions, de me remettre en question… de progresser, également.
Avez-vous prévu un nouvel opus à votre série ? Pouvez-vous nous en parler ?
Oui, absolument. Les Graphiques prendront dès 2017 un nouveau tournant, avec de nouveaux visages et de nouveaux lieux. Trois tomes sont prévus, au lycée cette fois, pour aborder d’autres questions encore. Et c’est mon ami Jean-Philippe Chabot qui tient la barre des illustrations !
Quelques questions à propos de vos lectures :
Quel livre vous a donné envie d’écrire ?
Je ne sais pas si un livre m’a donné envie d’écrire. J’ai adoré TOUS les Fantômette, dévoré les J.-O. Curwood pleuré comme une madeleine avec Le lion et, dans un autre registre, Le Fils de Flicka, recommencé dix fois les Livres dont vous êtes le héros que je n’arrivais pas à terminé (et triché, aussi…). Alors c’est peut-être un mélange de tout cela qui m’a donné envie d’écrire.
Quel est l’auteur qui aurait pu vous donner envie d’arrêter d’écrire (par ses qualités exceptionnelles…) ?
Ben, aucun. Je ne suis pas de nature jalouse. Et quand j’aime un auteur, je lis tout de lui.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Je ne m’en souviens pas. Un livre qui m’a beaucoup marquée, enfant, c’est Balles de flipper, de Betsy Byars, que j’avais fait lire aussi à mes parents tellement je l’aimais.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
A la recherche du temps perdu (t. 6) : La Prisonnière, de Marcel Proust.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
À la Croisée des Mondes, tome 1 : Les Royaumes du Nord, de Philip Pullman.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Pour rester dans le registre adolescent, Coeur sauvage, de Fabien Fernandez. Un magnifique premier roman.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Madame Bovary, je ne sais si c’est surfait ou pas, mais ce roman m’ennuie, et pourtant j’ai essayé de le relire, hein…
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
Non, mais j’en cite en exergue de quasi tous mes livres.
En ce moment que lisez-vous ?
A Suspicious River, de Laura Kasischke. 120 journées, de Jérôme Noirez (encore une perle). Ciel , de Johan Heliot (histoire de continuer…)
Entretien réalisé par Marie-Delphine
Découvrez
Invisible de
Charlotte Bousquet aux éditions
Gulf Stream :

Connaissez-vous les Petits Champions de la Lecture ? Il s'agit d'un grand jeu national de lecture à haute voix, lancé en 2012 et présidé par Antoine Gallimard. Son objectif : encourager la lecture chez les plus jeunes et rappeler que lire est avant tout un plaisir !
À la librairie Dialogues, comme c'est le cas depuis plusieurs années, nous avons eu la grande joie d'accueillir la finale des Petits Champions de la Lecture pour le nord Finistère, au début du mois.
Et cela nous a donné envie d'imaginer un épisode spécial de notre podcast, avec de belles idées de lecture pour les enfants. Jérémy et Amélie, nos libraires du rayon jeunesse, ont préparé une sélection de nouveautés pour les 9-13 ans à dévorer dès maintenant.
Bibliographie:
- Cruc, de David Walliams (éd. Albin Michel)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/16662149-cruc-elle-a-tout-mais-elle-veut-toujours-un-c--david-walliams-albin-michel
- Crime à Ålodden, de Jorn Lier Horst (éd. Rageot)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/20133913-serie-clue-crime-a-alodden-jorn-lier-horst-rageot-editeur
- le Plan extravagant de Vita Marlowe, de Katherine Rundell (éd. Gallimard Jeunesse)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/18886078-le-plan-extravagant-de-vita-marlowe-katherine-rundell-gallimard-jeunesse
- Charles 1943, de Florence Medina (éd. Poulpe Fictions)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/20161666-charles-1943-florence-medina-poulpe-fictions
- le Berger et l'Assassin, de Régis Lejonc et Henri Meunier (éd. Little Urban)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/20130420-le-berger-et-l-assassin-regis-lejonc-henri-meunier-little-urban
- L'Héritière des abysses, de Rick Riordan (éd. Albin Michel)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/19855693-l-heritiere-des-abysses-rick-riordan-albin-michel
- Les Enfants des saules, de Charlotte Bousquet (éd. Gulf Stream)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/18464450-1-les-enfants-des-saules-t-1-les-descendants-charlotte-bousquet-gulf-stream
- April et le dernier ours, de Hannah Gold (éd. Seuil Jeunesse)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/20130359-april-et-le-dernier-ours-hannah-gold-seuil-jeunesse
+ Lire la suite