AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Août 1914, il y a ceux qui partent la fleur au fusil, qui disent qu'ils reviendront pour les moissons. Et puis il y a celles et ceux qui restent. Franck Bouysse veut nous parler de ceux-là. Glaise n'est pas qu'un roman rural. Ce roman nous dit la grande guerre telle qu'elle s'est vécue, loin des tranchées et du bruit des canons. Il y a ceux qui vont mourir et ceux qui restent à l'arrière.
Pourtant la guerre semble tout près, Franck Bouysse nous la pose à sa façon dans ce petit village du Cantal, au pied du Puy Violent. Tous les hommes valides sont mobilisés. Seuls restent les femmes, les enfants, les vieux, ceux qui sont invalides... C'est une micro-société désorganisée par le départ des hommes à la guerre et qui va apprendre à trouver ses marques, s'approprier une nouvelle vie, puisque cette guerre est appelée à durer.
En retrait du village, un peu plus sur les hauteurs, il y a ce hameau. Il reste trois familles démembrées par le départ des hommes. Ce sont trois générations de femmes qui vont organiser la vie sociale du village, en s'émancipant par la force des choses puisque les hommes ne sont plus là et parce que certains ne reviendront jamais. Elles s'appellent Marie, Mathilde, Irène, Hélène, Anne... C'est une question de survie. Il faut bien faire tourner la ferme et continuer les travaux durs des champs, elles sont une multitude, ici, là-bas, ailleurs à faire vivre des tas de villages de la France rurale d'août 1914, vidés de leurs hommes. C'est l'arrière-pays de la guerre...
Quelques hommes sont là, malgré tout. Joseph a quinze ans. Et aussi Léonard, son ami avec lequel il pêche parmi les cours d'eau des rochers. Léonard est bien trop vieux à présent pour partir à la guerre. Il est presque trop vieux pour les travaux des champs. Et puis il y a Valette, méchant comme une teigne. Lui aurait bien voulu la faire, cette putain de guerre, mais voilà il a un bras atrophié, conséquence d'un accident de travail. Il a de la haine envers tous ceux qui l'entourent de près ou de loin...
Glaise n'est pas qu'un roman rural. C'est un roman sombre, lourd comme l'été pesant, comme l'orage qui vient plier les blés. Dans la grandeur des paysages, Franck Bouysse nous plante un décor qui m'a fait penser à celui d'un western ; il y a des taiseux, il y a des non-dits, les gens s'observent, s'épient, se regardent en chiens de faïence. Les grands espaces sont là et pourtant les personnages sont comme emmurés dans leur solitude antique.
Il y a des rivalités, des jalousies d'antan. Il y a de vieux secrets de famille. Les tensions s'installent, comme si le départ des hommes valides avait soulevé un couvercle... On entend la respiration des bêtes dans les granges. On sent leur souffle chaud... Il y a comme une tragédie qui vient, qui monte peu à peu...
Pourtant, dans le voile sombre de ce récit viennent des pépites de lumière. Anna adolescente est arrivée avec sa mère Hélène. Elles ont fui une ville tout près du front pour se réfugier provisoirement chez les Valette, la famille. Anna ne tarde pas à sympathiser avec Joseph, et même plus... Ils tombent éperdument amoureux l'un de l'autre. C'est un sentiment délicieusement coupable de vouloir que la guerre continue encore un peu, que la paix attendue ne les sépare pas...
Et puis il y a l'amitié de Joseph et de Léonard. C'est une magnifique amitié, celle de l'apprentissage, de l'émancipation. Celle de la transgression aussi...
La guerre est hors champ. Pourtant elle n'est jamais loin. Des lettres arrivent, au compte-goutte. Avec de l'espoir, des promesses de revenir très vite au village, à la première permission. Puis les saisons passent, d'autres lettres viennent, des mauvaises nouvelles...
A ses instants perdus, Joseph crée de petits personnages avec de la glaise. C'est son secret qu'il partage avec Anna et Léonard. C'est avec cette même glaise et ces mêmes gestes que Franck Bouysse façonne les personnages de ce roman, que j'ai trouvé d'une justesse incroyable.
La glaise, c'est aussi celle des tranchées que l'on ne verra jamais dans le roman, mais qu'on sent présente à chaque page, comme si elle nous collait aux souliers.
Commenter  J’apprécie          538



Ont apprécié cette critique (46)voir plus




{* *}