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Critique de Christels


Un roman sublime et cauchemardesque d'une rare intensité

En 1914, le Canada est une colonie franco-anglaise qui tient les autochtones pour des hommes inférieurs dont il faut réformer le mode de vie et les traditions.
Les peuples indiens parviennent de moins en moins à préserver leurs valeurs.

Niska, une vieille chamane Cree, incarne la mémoire de son peuple. Elle vit isolée dans la forêt, rescapée d'une culture qu'elle a transmise à son neveu Xavier, et à Elijah, lié à Xavier par une amitié fusionnelle.

Durant leur enfance, Xavier et Elijah ont vécu ensemble une existence rude et saine, dans une nature âpre prodiguant autant de bienfaits que d'épreuves. Ils ont arpenté les forêts, parcouru les cours d'eau en canoë, chassé pour se nourrir, sous l'oeil bienveillant de Niska.

Leur vie bascule quand ils sont enrôlés dans l'armée canadienne. Envoyés sur le front français, dans les tranchées, ils vont connaître une vertigineuse descente aux enfers.

Joseph Boyden ne retrace pas la guerre. Il relate, à échelle de soldat, les conditions atroces dans lesquelles ces victimes de l'histoire se sont battus. Ignorant tout de l'évolution globale des combats, entre assauts et replis, ils furent isolés dans l'espace et dans le temps. Enterrés dans les tranchées, la peur chevillée au corps, ils endurèrent un calvaire interminable.
Paradoxalement, cette vision à ras de terre dépasse largement le cadre du conflit franco-allemand. Elle dévoile l'absurdité des morts et des souffrances imposées à des hommes qui parfois ne sont même pas concerné par le conflit.

Dans la guerre comme à la ville, Xavier et Elijah subissent mépris et condescendance. Cependant, chasseurs accomplis, ils se révèlent être des combattants redoutables et des tireurs d'élite exceptionnels, ce qui leur vaut une certaine renommée et le privilège d'être toujours en première ligne.
Sociable et beau parleur, Elijah récolte les lauriers, alors que Xavier, taiseux et maîtrisant mal la langue anglaise, reste dans l'ombre de son ami. Leur rivalité complice se transforme peu à peu en jalousie.

Elijah est à son affaire dans cette guerre qu'il perçoit comme une compétition. Il prend goût à la chasse à l'homme. Envahi par le plaisir de tuer, boosté par la morphine, il se fixe pour objectif d'éliminer le plus d'ennemis possible. Tuer va lui permet de combler son désir de reconnaissance auprès des blancs ; tuer va lui permettre de rentrer chez lui auréolé de gloire et d'obtenir le statut de grand chef. Il contemple la mort dans les yeux éteints des allemands qu'il abat, il collectionne leurs scalps comme preuve de ses exploits. Elijah sombre dans la folie.
Xavier tue par nécessité, pour assurer sa survie. Il reste un indien, et ne tue que pour vivre. Elijah, lui, fait de la mort le but de sa vie.

L'amitié des deux hommes qui se comprenaient sans avoir besoin de parler, s'éteint à mesure qu'Elijah déverse ses confidence dans l'oreille d'un Xavier qui est en train de perdre l'ouïe. Il n'ont plus en commun que les souvenirs d'une existence révolue.

La guerre finie, Niska va chercher Elijah à la gare. Mais c'est Xavier qui descend du train, méconnaissable, que la guerre a détruit. Amputé d'une jambe, très amaigri et fiévreux, il a perdu l'ouïe. À cette dégradation physique s'ajoute une dégradation psychique. À bout de force, dévoré de l'intérieur, il a renoncé à surmonter ce qu'il vu, ce qu'il a fait. La morphine qui coule dans ses veines le maintient en vie en atténuant ses souffrances, mais elle l'achèvera et il le sait.

Alors commence un voyage en canoë qui les ramènera chez eux. Pendant trois jours, Niska va s'efforcer de détourner Xavier du chemin des âmes. C'est avec des mots, en lui contant sa propre histoire, qu'elle tentera de le ramener à la vie et à la paix.

L'alternance entre les récits éprouvants de la guerre des tranchées et les souvenirs d'une vie au coeur des forêts, permet au lecteur (qui en a bien besoin) de reprendre son souffle.
Aux descriptions crues des combats et de leurs terribles conséquences s'opposent les descriptions pleines de poésie d'une existence vécue en harmonie avec la nature.

Le mode de vie des indiens Cree, souvent difficile et parfois cruel, apparaît comme un paradis perdu. Les moments privilégiés vécus en communion avec la nature se posent comme un contre-poids lumineux à la noirceur de la guerre.
Sur une terre dévastée, éventrée par les tranchées et les cratère d'obus, la vie n'a aucune valeur. Dans la grandeur et la beauté des paysages naturel en revanche, les Cree considèrent que toute vie est sacrée et doit être respectée.

Un roman inoubliable!
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