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Critique de berni_29


Niska, une vieille Indienne Cree retrouve, sur le quai d'une gare, Xavier, son neveu, survivant de la guerre, enrôlé dans les troupes canadiennes et le ramène chez elle, à l'écart de la ville, à quelques jours de voyage. Nous sommes en 1919.
Il est des chemins dont on ne revient pas indemne. La guerre, par exemple.
Il est des guerres qui se délestent de leur emprise initiale, de leurs représentations, des croyances qu'elles peuvent véhiculer dans l'histoire de l'humanité.
J'ai écarté ce rideau.
J'ai poussé ma barque silencieuse sur le flot des pages. Des lumières se balançaient dans un geste régulier comme pour me guider vers le rivage de cette rivière de l'Ontario.
Il y avait Niska dont je vous ai parlé et son neveu Xavier, tous deux m'attendaient... Je savais qu'ils avaient une histoire à me raconter. Je savais qu'il manquait encore à l'appel quelqu'un d'essentiel à l'histoire, Elijah, le frère d'âme, je savais qu'il allait bientôt nous rejoindre pour ce rendez-vous ultime, je ne savais pas comment, mais je le savais. Et le rendez-vous vint plus tard...
Alors, ils m'ont raconté tous trois leur histoire autour d'un brasero sur ce bord de rivage.
C'est un roman choral, où les voix s'alternent et se mêlent dans un chant d'humanité magnifique et douloureux.
Tout a-t-il été dit sur l'enfer des tranchées ? Je suis incapable de répondre à cette question. Peut-être jamais encore avec le regard, le souffle, la respiration, les gestes, les mots, l'âme d'un indien Cree. Comment faire venir dans ce récit ce qui lie les personnages à la terre, au paysage, aux animaux, au monde, à l'invisible, à la vie, à la mort ?
La glaise des tranchées est-elle si différente de l'humus hérité des ancêtres du peuple Cree ou des Ojibwés ?
C'est l'histoire fraternelle et intime de deux Indiens Cree, qui se confond avec la boue des tranchées de la première guerre mondiale.
Mais ce qu'ils ont vécu de la guerre se mêle à celle de Niska qui porte l'histoire de son peuple.
Niska va nous raconter sa propre histoire, son enfance, d'où elle vient, peut-être depuis la nuit des temps et son récit se noue avec celui des siens partis à la guerre.
C'est un roman chamanique, avec le geste des prières, l'odeur du tabac qu'on répand au pied d'un orbe, le désir de liberté, l'invocation du ciel, des arbres qui se dressent pour nous protéger, du lynx qui attend ou qu'on attend...
La puissance évocatrice et onirique de ce roman dépasse les récits qui ont su dire l'horreur et la folie de la barbarie humaine, dans sa quintessence. Ici des mots vont dire la différence, la douleur des minorités, l'exclusion, d'autres combats, celle d'un peuple qu'on cherche à déposséder de son identité, comment continuer à transmettre cela malgré les guerres.
C'est un récit d'une poésie envoûtante, magistrale, pour dire la tristesse infinie, crépusculaire, celle à la fois des profondeurs atroces des tranchées et celle d'une humanité qui survit malgré la folie de la guerre.
Être Cree, c'est être oiseau, c'est être orignal, c'est être loup, c'est ce confondre avec la terre et le ciel en même temps ; un obus tombe et forcément déchire le paysage, les corps aussi, les pages, les mots pour le dire plus tard.
Un obus tombe, c'est s'envoler comme un oiseau et retomber avec une jambe en moins, c'est être vivant cependant et revenir de cette boucherie, revenir sur un canoë qui traverse le monde d'une rive à l'autre. Revenir bancal. Revenir presque debout et survivre après.
Le chemin des âmes, c'est un roman que j'ai lu et pris en moi dans son devoir immense de mémoire.
C'est un roman d'une beauté tragique, crépusculaire, qui m'a totalement bouleversé.
Le chemin des âmes, c'est la confrontation d'une fraternité unie dans la ferveur de vivre et dans le sang, celui partagé, celui qui coulera plus tard.
Le chemin des âmes, c'est un chemin sans retour entre les vivants et les morts.
Le chemin des âmes, c'est peut-être trouver désormais un endroit où se réconcilier avec les autres, avec le temps, avec le destin.
Joseph Boyden se contente de dire cela dans ce roman épris de vie et de sidération.
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