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Critique de berni_29


Le 21 juillet 2017, sur une plage de Méditerranée, Anne Dufourmantelle, écrivaine, se noyait en portant secours à deux enfants.
De ce malheur, nous parvient le très beau livre, Peut-être pas immortelle, écrit par son compagnon inconsolable Frédéric Boyer.
Le deuil est là et lorsqu'on entre dans ce livre, il nous apparaît tout d'abord lourd des larmes qui sont venues et viennent encore dire la douleur et l'incompréhension.
C'est un petit livre de quatre-vingt-sept pages seulement, mais il est rempli de ce chagrin que l'auteur pose dans ces pages, dépose comme un fardeau, sans pour autant vouloir sans défaire. Alors, on le prend à bout de bras, on ne sait pas trop qu'en faire, comment faire avec, et puis une ombre passe de temps en temps, une ombre qui fut vivante, l'est peut-être encore puisque les pages tremblent sous nos doigts, à moins que ce ne soit le vent du large, le vent du soir…
Malgré sa concision, le livre prend le temps de s'étirer sur trois parties. Ce sont trois chants poétiques qui résonnent les uns avec les autres et viennent former une harmonie.
Le premier, qui donne son titre au livre, et se construit autour de deux lettres,- vA qui ponctuent cette variation, dont l'initiale du prénom de la compagne aimée et disparue à jamais, A comme Anne -, est une invocation, ou bien une évocation peut-être seulement, je ne saurais dire, je sais simplement avoir lu un texte qui s'ouvre sur la douleur et l'incompréhension.
vA, comme une incantation.
vA, comme une résignation, ou plutôt l'acceptation résignée du voyage d'Anne vers un lointain inconnu dont on ignore les contours et le dedans.
vA, comme une invitation à revenir de temps en temps parmi les vivants.
vA, comme on pousse une barque vers l'autre rive.
Mais quelle est cette autre rive, où mène-t-elle ? Existe-t-elle vraiment ?
Le deuxième chant est « Une lettre » à celle qui a disparu, une lamentation et une interrogation. Nous entendons les mots d'un dialogue entre elle et lui...
Le troisième chant, appelé « Les Vies », élargit l'interrogation de l'auteur aux autres vies dans laquelle s'insérait sa compagne qui n'est plus.
L'ensemble est le texte d'un homme qui se relève après une épreuve. C'est une adresse poétique bouleversante à sa compagne. Il lui parle et nous sommes là, presque de manière gênée à écouter cette voix. L'écrivain nous ouvre des portes, des fenêtres, son coeur aussi le temps de quelques pages. Il nous fait venir dans l'intime, l'univers de sa compagne, l'intimité de ses robes et de ses miroirs, les oiseaux de Rome. Alors par instant le soleil entre par effraction dans la fissure des mots.
Plus douloureuses que la mort, ce sont parfois les questions qui demeurent sans réponses. Et maintenant, que dire à leur fille, la petite Maud ?
Il porte cette douleur intime vers l'universel, vers nous lecteurs. Cela l'aide sans doute, bien que l'écriture ne soit pas toujours consolatrice. La littérature ne peut pas grand-chose malgré tout ce qu'on lui accorde comme enchantement… Mais peut-être par ce fil invisible qui relie l'écrivain au lecteur, y a-t-il une manière d'alléger un poids trop lourd à porter seul ? Un livre, c'est aussi une oeuvre qui s'écrit à deux voix : celle de son auteur et celle de son lecteur.
Frédéric Boyer nous rappelle qu'écrire, c'est tenir debout, porter une voix qui n'est plus parmi les vivants lorsque la douleur est là, sortir de la nuit, faire mémoire, se relever chaque jour avec le jour suivant qui revient dans les pas, dans les gestes du quotidien, dans un futur où il faut avancer désormais sans l'être aimée.
Écrire pour apprendre à vivre avec les cicatrices que laisse l'absence, une façon d'habiter le vide.
Mais nous, lecteurs, que pouvons-nous faire de ce fardeau de larmes ? Nous sommes devant ce texte, comme devant un trou béant.
Cependant, au fur et à mesure que nous avançons à pieds joints d'un chant à l'autre, comme sur les pierres vives d'un ruisseau, au fur et à mesure que nous passons de l'intime à l'universel, le texte s'éclaire, nous paraît plus chaleureux, non pas que nous parvenons à discerner enfin l'autre rive où nous avons poussé tout-à-l'heure la barque d'un grand coup de pied résigné. Non, tout simplement, parce que nous sommes debout à lire le même texte, peut-être en même temps et c'est un geste rassurant qui nous relie, vous et moi, les uns aux autres…
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