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Critique de Isidoreinthedark


Bobby et Zeke ont quatorze ans. Pour tromper l'ennui, ils lancent des pierres sur les voitures qui passent, depuis un pont du sud de Brooklyn. L'une des pierres lancées par Bobby touche Amelia, tout juste dix-huit ans, qui perd le contrôle de son véhicule et meurt dans l'accident. La jeune femme était la seule famille qui restait à Jack, qui a perdu sa femme emportée par un cancer, ainsi que ses parents. Ce dernier joue les redresseurs de torts pour le compte de ses voisins modestes. Son aptitude peu commune à la violence le conduit à terroriser les pervers et les escrocs du quartier, et à rendre, le cas échéant, une forme justice aussi immanente que définitive.

Quelques années plus tard, Jack a perdu pied et abandonné ses activités de justicier d'une nuit désertée par le clair de lune. En hommage à sa fille qui rêvait de devenir écrivain, il s'inscrit à un atelier d'écriture situé au sous-sol de l'église du quartier, et animé par Lily, une jeune femme de vingt-et-un ans, harcelée par son ex. Dès la première séance, une relation quasi-filiale se noue entre un père qui a tout perdu, et une jeune femme un peu paumée, qui partage le rêve d'Amelia.

« Eteindre la lune » dont le titre original « Shoot the moonlight out » est à la fois plus poétique et plus expressif, est un roman choral dans lequel William Boyle poursuit l'exploration du quartier de Brooklyn où il est né. le récit nous est conté à travers les voix de Bobby, qui ne s'est jamais remis de l'accident qui a coûté la vie à Amelia, de Jack, de Lily, d'un tueur psychopathe dénommé Charlie French, et de Francesca, une adolescente de dix-huit ans qui souffre du décès prématuré de son père.

Multipliant les narrateurs, l'auteur tisse habilement la toile d'un ouvrage qui aurait pu s'appeler « collisions » tant les destinées de ses protagonistes sont appelées à se percuter. La structure narrative, très à la mode outre-Atlantique, qui consiste à multiplier les points de vue sur le déroulé de l'intrigue, confère au roman une dimension cinématographique. William Boyle a le mérite de ne pas céder à une autre mode du roman américain contemporain, qui consiste à multiplier les allers-retours temporels, et de nous proposer une intrigue parfaitement linéaire. « Eteindre la lune » nous offre ainsi un récit aussi fluide que maîtrisé, dont l'intensité va croissante, tout en changeant continûment de perspective.

La sincérité touchante de la relation entre Jack et Lily crée une forme d'empathie immédiate pour deux personnages aussi intègres qu'attachants, tout en leur offrant la possibilité d'une improbable rédemption. L'irruption d'un personnage aussi truculent que détestable, Charlie French, malfaiteur psychopathe à la gâchette facile, tout droit sorti de « Pulp Fiction », offre une respiration aussi noire que décalée au récit. Si les personnages ne sont pas épargnés par le destin, et souffrent chacun à leur manière de la perte d'un enfant, d'un père ou d'une épouse, l'ouvrage évite l'écueil d'un pathos larmoyant, et est paradoxalement traversé par la lumière de l'espoir.

La beauté du roman tient au fond à ce coeur de Brooklyn qui bat au rythme de l'intrigue. William Boyle parvient à nous transmettre toute l'affection qu'il porte au quartier qui l'a vu naître, en donnant vie à un lieu incertain où se côtoient des gens modestes, qui devient le cadre de la collision entre ses protagonistes.

« Eteindre la lune » explore la possibilité d'une rédemption de personnages traumatisés par la perte de leurs proches, par la violence du harcèlement d'un ex-petit ami, ou par les conséquences dramatiques d'un jeu idiot. Derrière cette trame classique propre au genre « noir », se dissimule un questionnement qui fait toute l'originalité de l'ouvrage, celui de la légitimité de la « justice » rendue par un citoyen lambda, en l'occurrence Jack.

Le récit marche ainsi sur un fil, celui de l'ambivalence d'un personnage au passé trouble de justicier solitaire, qui mêle une douceur sincère avec une aptitude à la violence surprenante. le dénouement d'une intrigue dont la tension narrative va crescendo n'est pas le seul enjeu du roman. En s'abstenant de condamner les actes violents commis par Jack, William Boyle laisse le lecteur seul juge du sens d'une violence qui n'est pas rendue au nom de la « justice des hommes ».
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