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Critique de LaBiblidOnee


… "que celui qui ne veut voir", dit la Bible. Que son âme complice aille en paix*…


C'est la série télé « Ainsi soient-ils » sur Arté, qui m'a donné envie de cette lecture. La série racontait l'arrivée au séminaire d'une poignée de jeunes d'aujourd'hui, leurs questionnements, leurs satisfactions mais aussi leurs sacrifices, leurs débuts dans la prêtrise et même, en filigrane, les arcanes du pouvoir de Rome et au sein de l'Eglise catholique de France. Un mélange d'ombres et de lumière très réussi, qui m'a donné envie de découvrir John Boyne avec ce titre. On y voyait la place de la femme au sein de l'Eglise mais aussi dans la vie de ces jeunes prêtres, selon lesquels le mariage n'empêcherait pas la vocation et même l'aurait simplifiée. Sans que la liste soit exhaustive, on y abordait aussi la question de l'homosexualité ainsi que celle de la pédophilie.


Tous ces thèmes sont finement explorés par John Boyne dans ce roman. On y rencontre le père Odran Yates dans les années 2010 et il va nous raconter son histoire au gré de ses associations d'idées, de manière non-linéaire. de l'injonction de sa mère qui lui a choisi ce métier, jusqu'à son ordination au Vatican où il a commis certaines erreurs lors de l'élection du nouveau Pape, il nous fait visiter les coulisses de ces vies hors du commun des mortels. Sa vie s'imbrique avec celle de l'Eglise. En voyageant dans le temps, on ressent l'image de l'Eglise qui change dans le regard des gens mais au départ tout est suggéré, rien n'est dit. Et cette misogynie qui empire avec la libération de la femme… Nous suivons le parcours d'Odran Yate depuis son enfance dans les années 60 jusqu'à maintenant : ce qui l'a poussé à devenir prêtre, la formation qu'il a reçue, les collègues qu'il y a rencontrés puis les premières affectations, les premières mutations, les premières erreurs, les premiers déboires…


Très vite le parcours d'Odran devient lié à son co-séminariste Tom. Tom n'avait pas la vocation, mais son père ultra-violent ne lui a pas laissé le choix. Il est donc devenu prêtre par défaut, et l'on s'interroge avec Odran : Comment ne s'est-il pas plus battu pour faire autre chose de sa vie ? Et surtout, comment les formateurs ne se sont pas aperçus qu'il n'avait pas la vocation, et lui ont confié des paroisses ? Car ils l'ont fait, et même plusieurs fois, puisque, curieusement, il était muté très souvent. C'est seulement lorsque l'évêque lui confie l'ancienne paroisse de Tom, qu'Odran le réalise, même si sa tranquillité d'esprit mettra du temps à voler en éclat. On demande souvent à Odran si, après son séjour à Rome, il n'a pas eu plus d'ambition que d'officier dans le collège catholique où il se sentait bien. A quoi il répond : « Que servirait-il à un homme de gagner tout le monde s'il y perdait son âme ? »…


****

J'ai beaucoup aimé ce roman de 400 pages, habilement monté. J'ai rapidement perçu le sujet qui allait prédominer sur les autres. Pourtant, je me demandais encore pourquoi l'auteur avait choisi de nous faire pénétrer les voies du Seigneur en racontant spécifiquement la vie du père Yates ; Ce n'est que dans les 110 dernières pages que j'ai compris l'enjeu de ma question. Par cette mise en abîme de la problématique qu'il soulève, John Boyne construit efficacement son propos autour d'un suspense léger mais assez efficace pour maintenir notre intérêt jusqu'au bout.


Il n'épargne pas Odran qui, bien que gentil, demeure lâchement mou et ne semble pas habité par ce qu'il appelle pourtant sa vocation : « Aucun de nous n'est innocent », comprendra-t-il trop tard, coupable de n'avoir pas voulu voir les signes, ni s'investir vraiment dans sa mission pour le bien « contre le mal ». Coupable de préférer sa propre tranquillité aux remous de la vérité. Mais celle-ci finit toujours par éclater, par éclabousser et mouiller tout le monde. Car moralement, il est impossible de se cacher longtemps derrière la responsabilité de l'abstraite « institution » : Derrière cette abstraction il y a des hommes, dont chacun est censé avoir « charge d'âmes ». C'est pourquoi l'Irlande, population très croyante, a été extrêmement ébranlée de prendre conscience qu'on ne pouvait même plus avoir confiance en ce refuge qu'est censé être la religion.


L'auteur rappelle ici que certains sujets méritent de ne pas être tus, car voilà où mènent les tabous… « Il n'est pire aveugle » sonne comme une accusation, envers une institution mais aussi envers chacun de ses maillons. Il sonne aussi comme une prière, celle d'ouvrir les yeux sur nos responsabilités respectives au quotidien, avant de ne plus pouvoir fermer l'oeil. Celui de la culpabilité, de la conscience. « Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours! » (V. Hugo).




* réf. à la formule vade in pace (va en paix) prononcée lorsqu'un prisonnier était mis au cachot. Cachot souterrain d'un monastère, dans lequel certains coupables étaient enfermés.

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