AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Papyrusdunil


Captivant, bouleversant, ce roman constitue pour moi le parfait exemple de ce qui fait la force de la littérature : Faire surgir du néant, grâce à la plume d'une auteure talentueuse et qui sait de quoi elle parle, un drame méconnu, le martyre de ces jeunes filles coréennes bafouées, niées dans leur humanité, oubliées de l'Histoire, le sort réservé par l'occupant Japonais à de pauvres innocentes enlevées, déportées puis asservies dans des bordels militaires sordides en Mandchourie, territoire du nord de la Corée théâtre de combats sino-japonais. L'esclavage sexuel le plus dégradant, violent, déshumanisé, qu'il m'a été donné de découvrir parmi l'inépuisable liste de forfaits humains en temps de guerre: l'ignominie institutionnelle, rationalisée par l'empereur du Japon pour motiver ses troupes.
Juste après avoir refermé cet autre très beau roman « Pachinko » qui évoque brièvement ce drame totalement occulté de la seconde guerre mondiale, « Filles de la mer » rend hommage de manière magistrale à ces femmes sacrifiées en racontant à travers l'histoire d'Hana, l'histoire de dizaines de milliers de jeunes coréennes utilisées comme des esclaves sexuelles, "les femmes de réconfort", à seule fin d'assouvir les besoins des combattants japonais.
Ce texte est beau, sensible, poétique, parfois insoutenable, mais toujours juste, pudique, à la hauteur de la souffrance des femmes qu'il veut réhabiliter. Il ne reste aujourd'hui que quelques dizaines de survivantes dont le retour en Corée a été une très grande épreuve, en raison de la réalité indicible de leur tragédie, dans un pays qui glorifie la pureté des filles et ne peut tolérer ce déshonneur.
L'histoire d'Hana, cette jeune haenyeo, issue d'une communauté de femmes pratiquant la pêche par la plongée en apnée de l'île de Jeju, au sud de la corée, est sans doute emblématique du sort que durent subir ces jeunes filles. Son enlèvement par un officier japonais qui va la poursuivre de ses assiduités et la violer sans vergogne durant des mois, niant l'humanité de la jeune fille, pensant même la rendre heureuse, a quelque chose de terrible sur ce qu'il révèle de la nature masculine. La fuite et la rencontre d'une famille d'agriculteurs mongoles va heureusement permettre de nuancer le propos et redonner un peu d'oxygène à la suffocante description d'un système organisé par et pour l'armée nippone, dont la brutalité n'a rien à envier à certaines pratiques nazies.
L'alternance des chapitres qui brasse la quête actuelle de sens de la soeur survivante Emi, qu'Hana a sauvée en se sacrifiant, et le récit du calvaire d'Hana permet des respirations bienvenues et très importantes pour comprendre la complexité des rapports humains au sein de familles laminées par des décennies de conflits, la culpabilité, la honte, le non-dit, qu'ont provoquées colonisation, seconde guerre mondiale, guerre de Corée, partition du pays…
La reconnaissance de cet épisode peu glorieux et de la souffrance infligée à ces femmes par le Japon est très récente et mérite l'attention du monde : un devoir de « mémoire » qui pour ces femmes est indispensable.
Un très beau roman qu'il faut absolument lire, car sa lecture nous ouvre l'esprit et apporte aux occidentaux que nous sommes un oeil neuf sur la compréhension de cette partie du monde, ce pays scindé en deux depuis 60 ans, ce peuple meurtri, malmené par l'histoire, pris en étau entre deux géants aux ambitions coloniales dévastatrices.
Commenter  J’apprécie          183



Ont apprécié cette critique (18)voir plus




{* *}