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Critique de deidamie


« Bonjour les Babélionautes ! Aujourd'hui, je vais vous parler d'un classique du XXe siècle, Fahrenheit 451, de Ray Bradbury.

Or donc dans un futur pas si lointain, Guy Montag exerce la profession de pompier. Avec ses collègues, il intervient pour mettre le feu aux livres et aux maisons qui les contiennent pour éteindre toute curiosité intellectuelle. Montag, tout en adorant son métier, ne peut s'empêcher de douter du bien-fondé de sa mission… Que faire quand les certitudes s'effondrent ?

-Bon, Déidamie, je dois quand même te prévenir, hein. Tu vas te casser les dents sur cette critique.

-Ah bon ? Pourquoi ?

-M'enfin, c'est évident ! Plus de 10000 lecteurs sur le site, des critiques par centaines ! Qu'est-ce que tu vas dire qui n'ait pas déjà été dit ?

-Mmmmh… bah essayons, on verra bien.

Avez-vous vu que Ray Bradbury signe là un tour de force stylistique ? Dès la première page, les livres sont représentés comme des êtres vivants, victimes de brutes lâches…

-Mais évidemment que toulmonde a vu, Déidamie !

-Ah. Bon. Bradbury décrit une société abrutie et abêtie par le marketing et la brutalité élevée au rang de divertissement…

-Paraphrase !

-Ce roman dénonce avec force la bêtise, la facilité, le conformisme…

-Pffffff…

-Bon, d'accord, trop évident, j'ai compris, je te gonfle. Je vais attaquer autrement, alors. As-tu remarqué ?

-Mmh ? Remarqué quoi ?

-C'est la question que je te pose, justement : n'as-tu rien remarqué ? Ce roman contient quelque chose d'assez rare en littérature. As-tu remarqué ce que c'est ?

-Beeen… attends, laisse-moi chercher…

-Vas-y.

-Beeeen… non, je vois rien !

-Exactement. Tu ne vois rien. C'est tellement évident que tu ne t'en rends pas compte. Ca va de soi, et pourtant, non. Et c'est là, sous ton nez. C'est quoi ?

-Pfffff… chais pas.

-Bradbury exploite les cinq sens dans ce roman.

-Euuuuh… tu refais encore le coup du scoop foireux, c'est ça ?

-Pas du tout. Je m'explique. En littérature, les auteurs privilégient bien souvent la vue, l'ouïe, le toucher et le goût : quand tu pratiques l'art de faire voir et ressentir, tu n'as d'autre choix que de jouer avec ces sens. Bradbury le fait également : il décrit longuement les tableaux d'incendie, le bruit envahissant des écrans, les Coquillages, la lance dans la main de Montag…

L'un des premiers doutes de ce dernier, la première fissure visible de sa forteresse est provoquée par la vue de Clarisse. Elle-même d'ailleurs va apprendre à Montag à se servir de ses sens, non pour accomplir la fonction qu'on attend de lui, mais pour en jouir et s'émerveiller.

Bradbury fait quelque chose que je trouve rare en littérature : il offre une place importante à l'odorat.

-Rare, rare… t'exagères, Déidamie. Il y a le Parfum.

-Le Parfum recèle en effet bien des scènes olfactives mémorables, mais en même temps, c'est le thème du roman : un peu normal, ai-je envie de dire. Et sinon, tu peux me citer un roman, un passage marquant qui évoque le royaume évanescent des odeurs* ?

-Euuuh… les boules puantes chez Marcel Pagnol…

-Et puis ?

-Beeeeen… chais pas. C'est vrai, maintenant que tu le dis, je ne me souviens pas de scène à odeur marquante… Celle de Kyô peut-être, dans Fruits Basket… et encore…

-Et encore, tu as mis du temps. Et en comparaison, de quoi tu te souviens, de la vue, du toucher, du goût, de l'ouïe ?

-Alors là, comme ça… mmmh… Hulot, quand il voit Valérie pour la première fois dans La cousine Bette, Phèdre quand elle voit Hippolyte, les repas chez Maupassant, le dîner de Gervaise dans l'Assommoir, la douceur délectable des tissus au Bonheur des dames, la glace qui fond sur la langue d'Emma Bovary, le "Clunk" de la jambe de Fol-Oeil dans Harry Potter, les oiseaux qui chantent dans ce poème de Victor Hugo…

-« Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient » ?

-Oui, ça ! Hahahaha !

-Ouais, c'était bon, ça. Bref. Je sais pas si tu as remarqué, mais une liste de souvenirs s'avère bien plus longue que l'autre. Or, si je compare avec Fahrenheit 451, qu'avons-nous ?

L'odeur du pétrole, de brûlé, celui de la terre humide, des feuilles, et sans doute bien d'autres que j'oublie.

Beatty prétend que les livres sont inutiles : pourquoi disserter des heures sur ces choses qui n'existent pas ? Ils nous détournent de la réalité en nous procurant des rêves stériles, puisque dénués de fondement.

La réponse que propose Bradbury se trouve non seulement dans le fond de son texte, fond accessible que tout le monde peut saisir à la première lecture, mais également dans sa forme. En stimulant tous nos sens, absolument tous, Bradbury rappelle que les livres n'enferment pas, bien au contraire, et dénonce cette société qui annihile les sensations, où la musique assourdit, les écrans rendent aveugles. Même la nourriture n'a plus de consistance, le beurre est répandu liquide sur votre tartine. Vos sens ne sont là que pour vous aliéner.

La résistance, la réflexion ne passent pas seulement par le pur exercice intellectuel, mais aussi par la perception physique des choses, par leur manipulation. Humer, sentir, goûter, toucher, admirer : autant de verbes qui nous ancrent dans la réalité lorsqu'on les conjugue activement pour soi-même.

-Mouais… moi en tout cas, je trouve que ça manque de persos féminins, quand même, ça m'a déçue.

-Tu as Clarisse et Mildred.

-Oui, mais leurs rôles restent assez peu développés, je trouve que c'est dommage. Et puis, bon, à la fin, pas un seul prénom féminin !

-On peut supposer qu'en 1954, les femmes avaient autre chose à faire, comme tenir la maison, s'occuper de son gentil mari et des enfants…

-Hé ouais. Visionnaire pour bien des choses, mais la féminisation des études littéraires, ça, tu l'avais pas vu venir, hein, Ray ?

-Que veux-tu, on ne peut pas tout envisager! Une fille lire des livres! On va pas partir dans des extrêmes non plus.

Bref! Fahrenheit 451 est un roman de résistance, d'inquiétude face aux dictatures de la pensée, mais il est aussi bien autre chose : ce livre rappelle que l'usage de nos sens fait de nous des êtres non seulement vivants, mais aussi existants. »

Edit du 25.07.2019: avez-vous des souvenirs littéraires d'odeurs? Si oui, partagez-les en commentaire ;)

*Formule lâchement piquée à Süskind.
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