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Critique de batlamb


Dans ce recueil de nouvelles, Bradbury enfile son costume d'Halloween, un drôle de patchwork qui n'évoque pas vraiment les monstres traditionnels de cette fête.

Peu de fantômes hurlants déploient leurs draps à travers ces pages. La richesse sensorielle de Bradbury lui permet d'évoquer les esprits d'outre-tombe par le simple toucher d'une feuille d'automne dans les poils d'un chien en vadrouille, ou le clapotis des vagues près d'un château de sable dans un été déclinant. La créature surnaturelle la plus envahissante n'est autre qu'un vent doué de conscience, qui souffle sur les maisons comme un grand méchant loup désincarné.

Non, les monstres ne sont pas là où on les attend. L'horreur inspirée par les cris silencieux des momies inertes est catalysée par un mari indifférent. La difformité d'un nain est moins horrible que l'absence d'empathie chez son observateur. Une forêt obscure étouffe moins qu'une mère repliée sur son univers. Cette dernière nouvelle, « le Diable à ressort », atterrit d'emblée dans le panthéon de mes textes préférés de l'auteur : Bradbury y rejoue l'indémodable mythe de la caverne à l'aide de motifs évoquant « Titus d'Enfer » de Mervyn Peake, paru un an avant. Hommage, zeitgeist ou simple hasard, c'est de toute façon un cocktail cosmique !

Les monstres ordinaires pullulent dans ce recueil, et le rendent parfois étonnamment sombre pour les standards de Bradbury : l'enchainement entre « À qui le tour ? » et « Le squelette » montre que l'auteur connaissait les tourments dans lesquels peut s'enfermer l'esprit humain, entre obsessions morbides et dégoût de soi-même. Cependant, le grotesque n'est jamais très loin de l'horreur. La fin du « petit assassin » parait ainsi clairement écrite avec un sourire en coin : en bon père de famille, Bradbury ne pouvait pas prendre trop au sérieux cette sinistre histoire de haine entre une mère et son nouveau-né.

Le grotesque allège l'horreur, c'est pourquoi les créatures à l'apparence monstrueuses ont la possibilité de jouer des rôles positifs. Elles préservent l'enfance un peu malgré elles, au sein de leur famille inspirée de Charles Addams, vers laquelle Bradbury reviendra plus longuement dans son ultime chef-d'oeuvre « de la poussière à la chair ».

Et la mort elle-même s'avère parfois une alliée débonnaire. Elle peut vous autoriser à prendre vos distance avec le royaume des vivants, sans forcément le quitter pour de bon. Elle n'est pas une fatalité. On peut y survivre, rapiécer au besoin son enveloppe charnelle amochée, ce qui prête parfois à rire. Y a-t-il meilleure preuve de l'incurable optimisme de Bradbury ?
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