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Critique de Meygisan


Cendri, ethnologue, et Dal, archéologue, sont envoyés par Unité afin d'étudier les ruines d'isis, situées sur la planète du même nom, une planète peuplée de femmes où les hommes sont réduits à leurs fonctions reproductrices et physiques. la supériorité de la femme est actée jusque dans la religion puisque le Matriarcat d'Isis prétend que la Grande déesse, celle qui les a guidés jusqu'ici, ne parle qu'aux femmes. Ainsi l'homme est inférieur en tout point, et considéré tout juste comme un animal primitif, dont les femmes prennent soin en leur permettant de se défouler, et donc de ne pas déborder de leurs instincts primaires, lors d'occasions très particulières et parfaitement réglementées. Cette infériorité ne souffre aucun débat, aucune remise en question et est établi comme un état de fait dans l'ordre naturel des choses.
C'est dans ce contexte que les deux savants vont être amenés à pousser leurs études, eux qui viennent d'une planète de l'Unité ( c'est ainsi qu'est nommé un ensemble galactique de mondes soumis à des traités communément profitables) où les hommes et les femmes sont égaux en tout, et c'est sur cette base là que l'auteure va construire son intrigue comme sa réflexion sur les différences entre homme et femme. On sent dès le début du récit que celle ci prend position car elle octroie d'emblée à Cendri, une supériorité en inversant les rôles. En effet, celle ci n'est pas encore diplômé alors que son compagnon Dal, lui l'est en tant que maître Savant. Dans une société où les femmes ne comprennent pas et sont même dans l'incapacité d'envisager qu'un homme puisse être intellectuellement aussi élevé qu'elles ( ne parlons même pas du fait qu'il puisse lui être supérieur!), il était nécessaire de fomenter un stratagème afin de faire passer Cendri pour la Savante, et Dal pour son assistant.Ils pourraient ainsi mener chacun leur études sans provoquer de scandale diplomatique.
C'est donc bien les enjeux autour du sexisme qui sont ici explorés. M.Z. Bradley était une féministe engagée mais elle ne tombe pas dans le piège du sexisme inversé dont le seul but serait d'émasculer gratuitement la gente masculine. Bien au contraire, elle en explore tous les pans, y compris les plus radicaux, à travers ses personnages mais aussi et surtout dans les effets que l'exploration ethnologique de Cendri vont causer sur son couple comme sur les femmes d'Isis. La présence de Dal ne passera également pas inaperçu aux yeux des hommes d'Isis...
Les personnages évoluent au fil des événements, rythmés par les caprices de la planète, parcourue par des séismes et des raz de marée face auxquels les habitants sont plus ou moins sans défense quand ils ne sont pas complètement désemparés ou dépassés... Ainsi Cendri découvre peu à peu les moeurs de cette société matriarcale radicale, mais apprend également à apprécier ses femmes à leurs justes valeurs et commencent même à les comprendre, pendant que son compagnon se bat pour se faire reconnaître en tant que savant, tantôt jouant le "jeu de l'infériorité", tantôt se rebellant contre cette condition dégradante et humiliante. D'ailleurs, le couple subira des hauts et des bas, l'auteure interrogeant ainsi la question du véritable amour, ou les notions de propriété ( dans le mariage, Dal fera une scène de jalousie lorsqu'il apprendra que l'une des femmes, la Pro Matriarche, enlacera sa femme de manière très intime qui suggère autre chose qu'une simple accolade. La notion de propriété dans le mariage liée à la jalousie masculine est ici mise à nue...) et de liberté. À ce propos, je vous laisse lire les quelques citations que j'ai retenu de ce récit.
M.Z. Bradley explore également les enjeux géo politiques en faisant intervenir d'autres personnages, et notamment la "consoeur" prétendante au pouvoir de Vaniya. Il est nécessaire de rappeler que l'autorité sur Isis est détenue par une Grande matriarche, laquelle à sa mort désignera celle qui lui succédera dignement, dans un rituel de passation emblématique, symbolique et fortement empreint de mysticisme. Mahala, l'autre prétendante au tire donc, sera présenté au couple et celle ci paraîtra beaucoup plus ouverte que Vaniya. Mais ceci n'est qu'un détail car la rencontre n'est qu'une excuse pour explorer les enjeux politiques et diplomatiques. Cette rencontre aura tout de même son importance dans la résolution finale... On remarquera dans ce contexte la séparation des pouvoirs, fonctions, sacerdotales et administratives, signe d'une volonté de changement.
Un autre enjeu sera exploré en la présence du couple Miranda/Rhu, la première fille, enceinte, de Vaniya, le second "compagnon de joie" de celle ci...! rhu jouit d'une position privilégiée par rapport aux autres hommes, du fait d'une faiblesse physiologique avérée (ce petit détail en apparence se changera en enjeu dramatique par la suite), mais il reste inférieur, exilé du monde des hommes qui s'en méfient comme celui des femmes. L'amour interdit qui naît entre eux et qui est considéré comme impossible et obscène, sera le prélude à un gros bouleversement culturel à venir. Je vous laisse le soin de découvrir le rituel de reproduction, "la visite de la mer", tout ce qu'il implique dans l'intrigue, et la manière dont les femmes s'en servent ainsi que de la religion, qu'elles ont détourné, pour éviter de se regarder dans une glace, et faire passer "la pilule", au figuré, comme au propre...
Vous l'aurez compris, ce livre est d'une densité assez énorme. Bradley y aborde nombre de questions, de notions qu'elle développe à l'extrême et cela en l'espace de seulement 35 pages à peine. Chaque paragraphe, chaque chapitre et même chaque phrase poussera le lecteur à la réflexion, l'auteure faisant en sorte que chaque mot fasse mouche, ait une portée menant au questionnement.
Incidemment, l'intrigue tourne essentiellement autour du travail d'ethnologie de Cendri alors que le côté archéologie ( relatif à son compagnon Dal) est laissé de côté. Mais pas totalement, car quelques chapitres lui font la part belle et permettent au lecteur avide de mythologie et de sf, de comprendre pas mal de choses sur les fameux Bâtisseurs...
Qu'on soit séduit ou pas par son style, on ne pourra nier le talent de M.Z.Bradley. Entre religion, superstition, science, politique et aventure, elle nous emmène dans les profondeurs insondables de la nature humaine, sur la voie de la réflexion sur la complémentarité des deux genres humains, là où, encore aujourd'hui, trop se complaisent, ou s'ignorent, dans un sexisme devenu malheureusement presque une norme dans notre société...
Qui a dit que nous avions évolué....?
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