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Critique de Erik35


PLUS PRES DES ETOILES !

Certains ouvrages, une fois refermés, vous laissent un goût de trop peu, dans la bouche et à l'âme, tel est le cas de ce "Le château des étoiles : Étrange histoire de Tycho Brahé, astronome et grand seigneur", livre impeccable et fulgurant s'il en fut.

Tycho Brahé... Soyons honnête : malgré une assez bonne connaissance des pays scandinaves, quelques pas effectués jadis au Danemark, le souvenir très lointain d'une sonde, d'un télescope ou autre satellite à son nom, un intérêt réel bien que très amateur pour l'astronomie, il fallu se rendre à l'évidence, je ne savais pas grand chose de cet homme-là.

Voici ce que nous en dit, en très résumé, le premier dictionnaire croisé sur mon chemin : Tycho Brahe (en danois : Tyge Ottesen Brahe), dit le noble Danois ou L'homme au nez d'or (14 décembre 1546 — 24 octobre 1601), est un astronome danois originaire de Scanie danoise, région historique du Danemark qui fait maintenant partie de la Suède. Il est connu pour avoir établi un catalogue d'étoiles précis pour son époque, ainsi que pour avoir produit un modèle d'univers cherchant à combiner le système géocentrique de Ptolémée et héliocentrique de Nicolas Copernic.
Tycho Brahe a pu mener ses travaux en astronomie grâce à l'octroi d'un domaine sur l'île de Ven [Vaine dans le roman] où il fit construire un observatoire astronomique qu'il appela Uranienborg et une pension annuelle accordés par le roi Frédéric II de Danemark.
De 1600 jusqu'à sa mort survenue en 1601, il fut assisté par Johannes Kepler, qui allait plus tard utiliser ses données astronomiques pour développer ses propres théories sur l'astronomie et formuler les trois lois du mouvement des planètes dites lois de Kepler.

Permettons-nous d'ajouter qu'il dut sa célébrité naissante à la première observation tant méticuleuse que documentée de ce qu'il appellera une "Stella nova", que nous dénommons aujourd'hui une supernova. Et ce n'est pas un détail vain puisque cette observation remis, scientifiquement, en cause la théorie aristotélicienne jusqu'à cette époque indétrônable du caractère immuable de l'univers.

Voila pour la vie, en bref, de notre célèbre astronome. Cependant, tout le génie de Paul de Brancion ne se situe bien évidemment pas dans le rapport fastidieux de l'existence passée d'un savant, aussi géniale ait-elle pu être. Ce qui fait le charme et la force de ce roman -car c'est bien un roman, avant que d'être une biographie-, c'est que notre auteur n'hésite pas à donner vie à un homme connu, certes, mais aux zones d'ombre suffisamment importante pour se l'approprier, et au caractère assez bien trempé pour en faire un personnage attachant tout autant que pétrit de défauts.

Ainsi, Paul de Brancion entame-t-il son récit à la naissance du treizième fils (chiffre magique s'il en est) de Tycho Brahé et fait dérouler la vie de cet homme probablement génial mais aussi irascible, phallocrate, vigoureusement indépendant -au point de se mettre à dos la plupart de ses soutiens danois à la mort du Roi Frédéric II de Danemark- détestant la cour et ses hypocrisies, s'emportant facilement -ce qui lui aurait valu de perdre son nez au cours d'un duel face à un contradicteur jugé stupide. Après ce jour, il dut porter à vie un faux nez en alliage de métal-. Tour à tour aimant et tyrannique, dédaigneux ou en manque d'attachement, capable des plus sincères amitiés comme des plus vives inimitiés, Tycho est véritablement l'homme d'une époque entremêlant, joyeusement ou dans les pires horreurs, bien des contraires, bien des antagonismes, laissant entrevoir les balbutiements de nos temps actuels, partagée entre magie, alchimie, astrologie et prémices d'une science plus rigoureuse, sérieuse, raisonnable et peut-être raisonneuse, une période de notre histoire tour à tour sauvage et raffinée, passant de période d'une fertilité, d'un bouillonnement de vie aux pires états de dépression et de folie, capable des plus incroyables constructions (tel ce "château des étoiles" que fut Uranienborg, et que l'on peut considérer comme le premier ensemble scientifique astronomique jamais conçu en Europe), ou des plus froides destructions (ce même château, pourtant véritable bijou, fut totalement démantelé dès la mort de son concepteur).
Tycho Brahé, homme de son temps jusqu'au bout, qui pressent -c'est ainsi que l'imagine l'auteur- que, malgré la précision de ses recherches et de ses observations, malgré l'utilisation d'instruments plus précis que jamais (mais avant l'invention des premières lunettes astronomiques), malgré quelques intuitions géniales, il pressent, disais-je, que sa théorie n'est probablement pas juste, que c'est Copernic et ses tenants qui ont raison, mais comme il l'explique lui-même, il veut croire jusqu'au bout à une humanité attachée, ancrée à une terre stable, immobile, éternelle, centre divin d'un univers à jamais fini. Pour l'histoire, la vraie, son ultime assistant, le non moins génial Kepler, se servira abondamment des observations de toute une vie du danois pour établir, définitivement, la véracité de la thèse héliocentrique de Copernic...

Je passe -mais c'est aussi l'un des aspects éminemment bouleversant de ce livre- sur les rapports de Tycho Brahé aux différents membres de sa famille, à commencer par son père adoptif, père tant aimé, qui était aussi son oncle, lequel avait pour ainsi dire kidnappé Tycho à son propre frère (les circonstances exactes de ce fait n'ont jamais vraiment été établies). Je passe rapidement sur les relations étranges et excessivement ambiguës entre notre héros et les femmes, qu'il aima au moins autant qu'il put les ignorer. La force de l'amitié qui le fit voyager à travers une bonne partie de l'Europe centrale. La puissance de travail de cet être aux facettes d'une richesse inouïe. Tout cela, et mille autres éléments, aventures, péripéties font la richesse de ce roman biographique (ou biographie romancée, c'est selon) au style d'une très grande élégance, toujours juste, parfois sensuel, souvent emprunt de poésie, ici et là rude et même brusque, qui ne cède jamais -cela pourra surprendre les habitués du genre- aux ficelles de ce genre romanesque. Qui, pour en terminer, introduit une très belle réflexion sur notre rapport au monde, depuis que la science s'est insinuée dans presque tous les replis de la vie humaine, dans nos pensées, nos actes, notre devenir.

Mais il est temps de s'en retourner nuitamment en nos châteaux intérieurs, tournés patiemment vers les étoiles tant aimées de Monseigneur Tycho Brahé, noble danois, homme libre, fier astronome, astrologue et alchimiste d'un autre temps, si loin, si proche, comme ces cieux qui nous juchent et nous contemplent de leurs fragiles feux.
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