Voyage chez les Yeux-Pâles

-La Terre Mère est belle sous tous les cieux, proclama Petit Chef, fièrement campé sur un rocher, admirant un matin d'été une cime encore enneigée.
Et nous sommes tous les enfants de la Terre Mère. Nous, les Wah-zha-zhi, et les gens de ce pays aussi, même s'ils ne nous ressemblent pas. Voyez, nous sommes petits, tous petits, au pied de ces montagnes.
Et vous le savez comme moi : parce qu'elles ignorent le temps, elles seront encore là quand l'homme aura disparu.

Esprit Noir lui raconta qu'en voyant les premiers chevaux, les Osages avaient cru que le Grand Esprit, dans sa magnanimité, leur faisait don de grands chiens pour tirer plus aisément les lourds chargements lors de leurs déplacements saisonniers. Oui, c'était cela leur vie d'avant : les tipis démontés, le travoi mis en place, deux perches, une peau tendue et l'on entassait dessus les effets, la nourriture, les marmites, les enfants, les vieillards; aidées des chevaux, les femmes tiraient le tout. Sur le lieu de la chasse, l'on remontait les tipis, s'installant de nouveau. C'était une vie d'hommes libres; elle convenait à Esprit Noir.

- Là-bas sur la terre de mes ancêtres, dit Jeune Soldat avec un grand sérieux, j'ai vu souvent son âme dans les yeux de mon mustang. Ka'-Wa et moi sommes frères. Il se bat et jeûne avec moi. Il connaît mon coeur et je connais son coeur. Sur la terre de mes ancêtres, quand un brave meurt, on tue son meilleur cheval.

-Tu penses , reprit la jeune femme, imperturbable, tu ne me dis pas mais moi je lis dans ton coeur, tu penses que les femmes n'ont pas de valeur qu'elles versent des larmes, posent trop de questions et se plaignent tout le temps. Moi, je te demande: combien de jours allons-nous te suivre ? Pour aller dans combien de pays ? Pour voir combien de rois ? Et comment Fille- Première-Née, celle que vous les Yeux-Pâles appelez Maria, la sœur de ma malheureuse Duvet d’Oison, comment supportera-t-elle le voyage ?

Et comment se dieu pouvait-il être qualifié de "bon"? Ne laissait il pas des étrangers se saisir de leurs terres ? Leur vendre cette satanée " eau-de-feu" et ces armes d'où sortait le tonnerre ? Que voulaient ces Yeux-Pâles ? Les empêcher de chasser, de vivre comme ils le faisaient depuis l'aube des temps ?

-Dans ma nation, nos petits, à cet âge-là, passent leur temps à jouer; quand ils sont plus grands, les garçons gardent les chevaux dans les pâturages, et ils apprennent à chasser les oiseaux, les lapins, les écureuils, à écouter les voix de la terre , accompagnés des chiens. Et quand ils sont plus grands encore, avec leurs pères, ils continuent de chasser, des chevreuils, des daims, des ours et même des bisons. Ils apprennent la vie. L'école des Blancs ne fait pas d'eux de meilleurs chasseurs ni des guerriers plus braves. Si les jeunes travaillent, ils ne peuvent pas rêver et la sagesse nous vient pas les rêves !

- Grand Soldat me dit que les Yeux-Pâles coupent des arbres pour la fête qu'i appellent No-el. Ils les mettent dans leur maison et ils les laissent mourir. Est-ce vrai ?

Nos Anciens disent, et ils parlent bien : " Ne laisse jamais les femmes et les enfants manquer de quoi que ce soit."

-Chez nous, il n'y a pas de barrières pour les hommes, pas de barrières non plus pour les animaux.
Les Yeux-Pâles volent la vie de ces bêtes. Pourquoi font-ils cela ?

-Dans mon enfance, j'entendis parler, par mon père, de la nation française; je formai alors le projet de la voir quand je serai grand. Je suis devenu homme: j'ai accompli mon désir. Je suis aujourd'hui, avec ceux qui m'accompagnent, au milieu des Français que nous aimons tant et j'ai le bonheur, Grand-Père, d'être en présence de leur roi. Nous saluons la France. J'ai parlé.