AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de le_Bison


Les néons s'illuminent de toute part. Où mon regard se porte, il voit clignoter des lumières de toutes les couleurs, je lève la tête, à gauche, à droite, elles sont partout, rouges, vertes, violettes, toutes aguicheuses pour me faire rentrer dans tous ces bars de solitaires. Seul au comptoir, je m'installe, commande un premier Nikka, sort mon petit « Journal Japonais », grand livre du maître incontesté du haïku version américaine. Je ne résiste pas à lire celui-ci, à voix haute, le verre haut, les glaçons qui tintent comme la cloche du temple d'à-côté, ce haïku parfumé au single malt :

« Tout seul dans un bar à Tokyo
Je prends un verre avant le
déjeuner,
Et j'aimerais bien avoir quelqu'un à qui
parler. »

La claque que je prends à chaque fois que je le lis. le génie qu'il était cet homme du Montana venu se perdre – ou se trouver – au Japon. Il boit un verre, lui aussi, seul dans ce bar. Je l'accompagne. Fidèlement. Sur ses traces. Il griffonne sur son carnet, le verre toujours à la main. Je n'ose le déranger, seul sur son tabouret, le teint jauni par cette lumière artificielle. de toute façon, l'on s'enferme dans ces bars pour leur solitude, et la solitude d'un poète cela se respecte. Comme la solitude d'un ivrogne.

Il est temps de changer de trottoir. de comptoir devrais-je dire. D'autres lumières m'appellent ou m'interpellent. Une musique de fond, ambiance jazzy. le whisky se marie bien avec le jazz. Question de velours et d'espace feutré. Cela touche à l'intimité. le jazz, cela se respecte. Comme l'ivrogne qui écoute du jazz. Des rires fusent, des japonaises dans leur jupe plissée. A moins que cela soit des bécasses. Voir le cri des grenouilles en rut. Mais existe-t-il des grenouilles au Japon ?

J'aurais envie de griffonner sur mon carnet quelques pensées, qui ne valent pas grand-chose. C'est le pouvoir de Richard Brautigan. Il donne envie. D'écrire. D'oser. de partager. de boire aussi. Et si j'osais. Boire un verre.
Partager, écrire.
Dans le genre...

Deux cuisses parallèles,
à cette figure mathématique
l'envie de provoquer la dissymétrie
en les écartant de ma main
prête à glisser jusqu'à son coeur.

J'aurais envie de tout citer ce roman, tant chaque page apporte sa surprise, son intérêt, son envie, sa soif. Haïkus, proses, pensées, tout est disparate mais tout devient un tout. Chaque chapitre s'inscrit dans un chapitre plus grand, celui d'un roman, d'un voyage, d'une vie. Vie de poète, vie de buveur, vie de solitaire. Et là, je me prends à rêver, parce que j'ai déjà deux de ces qualificatifs sur trois. C'est déjà pas si mal…

Un jour, je composerai moi aussi des haïkus de la soif… Un dernier verre, avant que je sombre, avant que ma vie sombre. Tristesse d'un verre vide. Tristesse d'un verre vide la nuit. Tristesse d'un verre vide la nuit seul. Il me rend triste ce Brautigan. Mais en le lisant, je me sens moins seul, ses pensées m'accompagnent, de toute façon, je suis toujours triste. Boire un verre seul est d'une profonde tristesse mais c'est là que mes rêves entraient en jeu, gommer un peu de cette tristesse. Pourquoi ne sais-je pas mettre de la folie dans ma vie, comme par exemple, mettre des glaçons dans mon whisky. le disque s'achève, dernières notes d'un sax nocturne. Je vais me coucher, pour rêver d'une vie de poésie.
Commenter  J’apprécie          6611



Ont apprécié cette critique (59)voir plus




{* *}