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Citations sur Lithium pour Médée (19)

Il y avait chez Gerald quelque chose d'inachevé. Plus tard, je le verrais comme le produit d'une fabrique d'astronautes androïdes. Non pas qu'il ait ressemblé à un astronaute. Mais plus exactement parce qu'il semblait en être le reflet. Il avait l'étoffe d'un modèle réduit. Il était comme ces gadgets aux détails parfaits mais non-fonctionnels, attachés aux ponts des bateaux en plastique, ces mitraillettes miniatures collées aux maquettes d'avion. D'apparence parfaite, mais rien qui marchait, rien.
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Francine me voit toujours comme cette gamine de six ans, pâlotte et grassouillette. A dix ans, j'étais une guimauve, blanche et pâteuse, déjà presque aussi grande qu'aujourd'hui, effarouchée pour un rien. Je n'acceptais rien facilement. Le ciel n'était jamais une simple question d'air, d'espace ou de couleur. La pointe des étoiles brûlait forcément. Ma peau semblait porter les stigmates permanents de mauvais traitement d'un midi blanc ankylosé ou d'une nuit noir comme une mer de rats. Les étés me blessaient, trop jaunes et brûlants, incandescents et insensibles. Les hivers étaient cruellement courts, pointes cinglantes et brèves sur des pelouses roussies poussant des lis noires aux grandes bouches blanches béantes et édentées.
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Jamais l’homme primitif ne pourrait se soumettre à l’hôpital. Un homme primitif insisterait pour être entouré de ses objets les plus magiques. Il y aurait des prières et des chants collectifs, un souffle commun entretenu. Des feux de camps pour flamboyer dans l’obscurité, les étincelles des bûches de cèdres, l’air hérissé de rouge dans le noir, sang et fumée. Il y aurait des amulettes, des charmes, des totems. Les masques seraient repeints. Les calebasses à percussions, sorties de la hutte du guérisseur. Il y aurait des danses, des peintures de sable, des reconstitutions chantées des victoires de la tribu sur le mal, des morts aléatoires et des naissances inexpliquées, une sorte de tintement singulier.
Le guérisseur implorerait la terre. Et la terre répondrait. Les os sacrés de tous les sages décédés rongeraient la nuit noire et rouge et soulèveraient la poussière des tombes fantasmagoriques. Le rêve s’y plierait et le squelette articulerait de vrais mots d’une bouche aux lèvres et à la langue réincarnées.
L’hôpital était trop vide et uniforme. C’était un espace dénudé, une antichambre de la mort. Ici, les shamans revêtaient des costumes particuliers, masques blancs et blouses blanches. Ils maintenaient des rituels antiseptiques. Communiquaient en un dialecte privé ancestral. À leur façon appauvrie, ils s’efforçaient de préserver le mystère. Ils adhéraient à des formes ancestrales, mais vidées de leur substance, de leurs relations aux pouvoirs impénétrables.
Les docteurs portaient des stéthoscopes autour du cou et communiaient avec des machines, mais ce n’était pas suffisant, pas tout à fait. Je voulais des cornes d’antilopes sur leurs têtes, des percussions et des tambours. Je voulais une bénédiction tonitruante et prodigieuse, des sels magiques, de la fumée colorée, des genoux sur la poussière, des étoiles guidant les prières.
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Nouvelle sonnerie. Los Angeles est la ville du dieu téléphone. Tout le monde est pendu à son téléphone parce que tout le monde passe son temps à faire, défaire, puis refaire ses affaires. Tout le monde est pendu au téléphone parce qu'ici, dans la Cité des Anges, où les élus se sont élevés, on se retrouve souvent juché au sommet d'une falaise, d'un canyon ou d'une colline, seul, absolument seul.
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Que suis-je en train de faire? Et la voix à l'intérieur de moi a répondu. Tu es en train d'attendre, ma petite. C'est ce que tu es en train de faire. Attendre. Tu n'as toujours pas compris? Los Angeles est la grande salle d'attente du monde. Attendre d'être découverte. Attendre ton chèque de sécurité sociale. Attendre le retour du cancer. Attendre la faille, le tremblement de terre. Attendre les mots blancs et cassants annoncer que l'homme que tu appelles ton père est mort. Attendre avec ta petite vie qui s'écoule dans la brume grise d'un après-midi chaud et blanc.
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J'avais des idées noires, je caressais les démons dans l'obscurité de mes neuf ans, scellant des pactes et tournoyant dans le sommeil tout en récitant les listes sans fin de mes ressentiments. J'étais incapable de pardonner. Sournoise, j'écoutais aux portes et me renfrognais face à l'appareil photo que ma mère pointait sur moi, m'assurant que jamais elle n'oublierait, et que plus tard, en fouillant dans ses tiroirs, elle découvrirait une petite fille qui la fixait, lèvres déformées, moue hargneuse. J'étais indifférente, adepte du refus systématique, ma bouche dessinait des "non" d'acier tandis que j'emmagasinais les cicatrices invisibles d'un air déchiré par les claquements de porte. J'errais, seule, et pratiquais l'abandon dans des parcs aux collines basses et asséchées. J'étais celle qui portait son enfance comme une maladie orpheline, déjà lassée des contes de fées, celle à qui, déjà, il ne fallait pas en raconter. J'étais celle qui avait de bonnes notes et des secrets, celle qui se déplaçait lentement, celle qui disait non et le pensait. J'étais froide, enfermée, je refusais d'apprendre à faire du charme ou à quémander. J'étais celle qui tissait des toiles d'araignée et rendait la nuit contagieuse.
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Ma vie était un assemblage de mondes parallèles. Chaque monde avait ses règles et ses personnalités distinctes. Chimie, mathématiques et histoire différaient. Les éléments de base, évolution et développement, étaient tout aussi complexes et différents que la vie dans un monde de carbone diffère de celle dans un monde de méthane. Mes mondes parallèles étaient vastes, harmonieux, et clairement définis. Leurs atmosphères respectives étaient mortelles en cas de contact. Aucun point de rencontre possible.
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Travail de la ruine.
Pendant des années, la poussière a fait ce que bon lui semblait,
déposant ce que le vent portait,
ce qu'une main poussait.

Ici, sur cette terre d'étés permanents,
tout enfle, devient énorme, semble se moquer des proportions.
Les premières roses poussent devant les maisons sur Caroll Canal.
Le chèvrefeuille se répand sur les clôtures métalliques.
Les citronniers sont en fleurs, jaune vif.
Des murs rouges d'hibiscus cachent les fenêtres.
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Ici, dans le creux d'un océan au regard bleu aveugle,
Los Angeles voit sa course stoppée net par les falaises liquides de la mer.
Ici s'arrête la piste.
Après Death Valley et Donner Pass, il ne reste que cette ultime oasis de précarité.

Il faut traîner par ici, à quelques centimètres de la mer.
C'est une terre d'étranges mutations intimes.
On y ressent une attraction, une force inexplicable,
une sorte de loi de la pesanteur non répertoriée.
Les orteils changent,
se métamorphosent en griffes acérées invisibles
qui se plantent et luttent contre l'attraction de la pente
vers le bleu pâle des vagues indifférentes.
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Soudain, il a paru très petit et très vieux,
voûté, ratatiné.
Je me suis dit, tu ne peux pas mourir.
Et j'ai senti une douleur, quelque chose en moi se briser.
Si tu meurs, on me verra comme une femme,
plus comme une petite fille.
Et je ne suis pas encore prête, papa.
Je ne suis pas prête du tout.
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