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Critique de 5Arabella


La première version de la pièce date de 1938-39. Brecht l'a écrite au Danemark, après avoir fuit l'Allemagne nazie. Il la reprendra dans les années 40 aux USA, en vue d'une création américaine. Mais il y a eu entre temps Hiroshima, et Brecht modifie le contenu de sa pièce en fonction des questionnements sur le rôle de la science que pose cette actualité. Elle connaîtra la scène en 1947, mise en scène par Joseph Losey, avec dans le rôle principal Charles Laughton, qui s'est beaucoup impliqué dans cette création. La pièce sera encore réécrite en Allemagne de l'Est, après que Brecht ait été chassé des USA par le maccharthysme ; la dernière version date de 1956. La mort de Brecht, pendant les répétions de l'oeuvre met fin définitivement à la réécriture de la pièce.

L'oeuvre en 15 tableaux, qui résument une trentaines d'années de la vie de son héros, dans plusieurs villes italiennes, comportant une quarantaine de personnages, est d'ampleur, et nécessite presque quatre heures de représentation, ce qui fait qu'elle est rarement montée et n'échappe pas à quelques coupures lorsqu'elle est jouée ; comme dans la mise en scène d'Eric Ruf actuellement à la Comédie Française.

Nous commençons à suivre Galilée lorsqu'il est professeur de mathématiques à Padoue, et qu'il s'approprie et perfectionne l'usage de la lunette, qui lui permettra en faisant des observations du ciel de plus près, de rassembler des données qui confirment le système de Copernic, et qui permettent une représentation du ciel, des astres et de leurs mouvements plus juste, et qui mettent à mal toute l'astronomie officielle héritée de Ptolémée. Et incidemment qui remettent en cause la doctrine de l'Église et la Bible elle-même, ce qui ne peut que provoquer une réaction de l'institution au combien puissante. La vie du savant sera dès lors rythmée par la lutte pour convaincre du bien fondé de ses théories, et tout simplement pour le droit à les exprimer. Les preuves matérielles qu'il rassemble ne sont pas forcément un argument suffisant : une vérité officielle, sur laquelle repose l'équilibre du pouvoir de la société risque d'être balayée par ses démonstrations, qui sont donc interdites. En même temps, les conséquences pratiques de ses découvertes se révèlent d'une grande utilité, voire incontournables, en particulier les cartes du ciel permettent des voyages plus sûrs, il devient donc impossible de tout interdire. Une lutte s'engage entre un pouvoir en place et un individu : inégal, forcément, et où l'individu n'a le choix qu'entre disparaître ou se soumettre, au mieux de ruser pour tenter d'arracher un peu de liberté souterraine.

La pièce est relativement linéaire : nous suivons les moments clés des découvertes de Galilée et de sa confrontation avec la puissance ecclésiastique. Plus que les événements en eux-mêmes, la pièce présente plutôt la résonance sur les individus, sur leurs choix, leur vision du monde, l'amorce d'une réflexion. Les thématiques abordées sont multiples et complexes : le rapport entre la science et au-delà entre le savoir et le pouvoir, la domination idéologique d'une société par une vision du monde érigée comme la seule possible en dépit des faits, le rôle de la science et ses dangers. La pièce est loin d'être univoque : la possibilité de remplacer la religion par une autre forme d'idéologie aussi pernicieuse pour les individus est évoquée, cela pourrait être une vision scientiste, mais aussi économique, comme le suggèrent certains dialogues. Au-delà des observations, d'un savoir, qui peuvent sembler incontestables (jusqu'au moment où ils seront contredits par d'autres faits inaccessibles jusque là ) la question à se poser est quel est l'usage qu'on en fait, et comment faire que certains ne se les approprient pas pour dominer les autres ; que cela soit un bien commun, au service de tous. La raison est-elle suffisante ? L'homme est-il un être de raison ? La pièce soulève sans doute plus de questions qu'elle ne donne de réponses. A chacun d'essayer de continuer la réflexion.

Une oeuvre puissante et riche.
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