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Critique de Apophis


Un tome 2 qui marque quelques évolutions mais qui, fondamentalement, est une copie du premier

Le tropique des serpents est le deuxième volume des Mémoires de Lady Trent, après Une histoire naturelle des dragons. Rappelons que le cycle comptera cinq tomes au total, que le quatrième est sorti en avril aux USA , et que le dernier est prévu au printemps 2017. L'auteure a déjà annoncé qu'il n'y aura pas de romans supplémentaires, mais potentiellement des nouvelles / novellas devant combler certains blancs (l'une d'elles a déjà été écrite et se déroule entre deux des livres).

Une fois de plus, c'est l'illustration de couverture de Todd Lockwood qui nous frappe en premier. Signalons aussi que les illustrations intérieures en noir et blanc sont toujours présentes, bien que relativement inégales (mais le portrait d'Isabelle en page 41 est juste magnifique -la demoiselle est vraiment très jolie-).

Nous avons cette fois affaire à une Isabelle de 23 ans, ayant une aura un peu plus solide sur le plan scientifique, et surtout nettement plus indépendante et libre de ses mouvements que dans le tome précédent (du moins en première approximation). Elle va s'embarquer pour l'équivalent local de l'Afrique pour y étudier les espèces de dragons indigènes, sans se douter qu'elle va mettre les pieds dans un bel imbroglio politico-miltaro-industriel.

Avertissement : j'attire votre attention sur le fait que cette critique contient des spoilers sur la fin du tome 1. J'aurais aimé pouvoir faire autrement, mais ces éléments ont de telles conséquences qu'il est impossible de critiquer correctement le tome 2 sans les mentionner. Vous voilà prévenus.

- En cavale

Nous retrouvons Isabelle trois ans après la fin du tome 1. Elle a donné naissance à son fils, qu'elle a appelé comme son papa. Alors que son statut de veuve et le mécénat de Lord Hilford auraient pu lui offrir tout un tas de possibilités, elle a le sentiment que quelque part, cet enfant l'enchaîne au Scirland. Elle prend donc la décision, très controversée, de monter tout de même une expédition en Érigie (Traduisez Afrique, tout comme Anthiope = Europe, Thiessin = France, Eiverheim = Allemagne, et ainsi de suite), en laissant le petit aux bons soins de son beau-frère. de toute façon, obnubilée comme elle l'est par les dragons, elle n'a qu'une relation assez distante avec sa progéniture. Ce geste va être la première pierre qui, tout au long du livre, va lui valoir une réputation scandaleuse.

Quelque part, elle fuit son fils. Et elle n'est pas la seule… Sa protégée, Nathalie, la petite-fille de Lord Hilford, veut, elle, fuir la pression mise par sa famille pour, qu'à vingt ans, elle se trouve enfin un mari, rendez-vous compte ! Mais la jeune femme a l'âme d'une scientifique et, elle qui passe déjà tout son temps chez Isabelle, veut l'accompagner en Érigie. Ce qui sera une deuxième source de scandale lorsque le papa de la demoiselle accusera Lady Trent (qui s'appelle encore Miss Camherst) de ruiner la vie et les opportunités sociales de sa protégée.

Le fidèle Thomas Wilker (déjà croisé dans le tome 1, roturier protégé de Lord Hilford) accompagnera les deux jeunes femmes dans cette aventure.

- L'univers s'étoffe, Isabelle s'émancipe, et il y a quelques évolutions

Ce qui est assez paradoxal avec ce tome 2 est que le worldbuilding y est beaucoup plus présent que dans le précédent. D'habitude, dans un cycle, le plus gros est fait, à ce niveau là, dans le volume introductif, tandis que les suivants ne font plus qu'affiner le tableau déjà brossé. Ici, c'est un peu l'inverse : comparativement, le tome 1 était à la fois moins riche et beaucoup plus simple : Vystranie = Carpathes, un point et c'est presque tout, avec des influences des italiens et des russes locaux.

Là en revanche, l'auteure nous brosse un tableau complexe (et très réussi) d'une Afrique de fiction dans laquelle, outre les intérêts économiques (gisements… de fer, et pas d'or comme on aurait pu s'y attendre) des puissances « occidentales » (Anthiopiennes), se télescopent les ambitions politico-militaires de deux entités politiques locales : l'Union Talue (pensez Empire Malien, qui « conquiert » de façon soft d'autres pays en les intégrant à une coalition qu'il dirige) et les Ikwundés (comprenez : Zoulous).

L'expédition va se rendre au Bayembé (comprenez : Nigéria, et empire Yoruba), où le Scirland possède un comptoir. L'alliance avec les occidentaux est la seule solution que le souverain local a trouvé pour échapper à la conquête soft de l'Union ou à la conquête tout court par les Ikwundés. Isabelle vient y étudier à la fois les dragons locaux et ceux du marais surnommé l'Enfer Vert. Sur ce plan là, le nombre de dragons présenté au lecteur va littéralement exploser tous les compteurs du tome 1. Et ce n'est pas du tout : le monde devient un poil plus fantastique, puisqu'on mentionne également… des mammouths.

Isabelle va se retrouver empêtrée dans des luttes politico-militaires à la fois locales et inter-continentales, ainsi que prises dans les rets d'une realpolitik centrée sur des intérêts économiques. Autant dire qu'on est déjà assez éloigné du niveau un peu basique, limite Young Adult, du tome 1. Et du coup, c'est plus intéressant.

De même, Isabelle est un personnage qui a évolué sur deux points essentiels : d'abord, son statut de veuve lui donne une liberté qu'elle ne possédait pas en tant que femme mariée (et de plus, elle n'a plus la pression imposée à Nathalie par exemple pour se marier, puisque c'est déjà fait) ; ensuite, contrairement au tome 1 (et c'est la grande différence entre les deux livres), cette fois c'est une vraie naturaliste, et pas « juste » une épouse emmenée pour ses talents de dessinatrice et de secrétaire. Enfin, elle a un caractère plus affirmé, bien que, d'après les nombreux teasers disséminés par l'auteure sur ses aventures ultérieures, ce ne soit qu'un pâle reflet de ce qu'elle va devenir quelques années ou décennies plus tard.

La grosse évolution est qu'il y a plus d'action, voire même un poil de suspense, dans ce tome 2, alors que son prédécesseur était comparativement bien plus plat. Alors attention, hein, nous ne sommes toujours pas sur de l'Heroic Fantasy, mais disons que voir que ça bouge un peu plus est tout de même agréable. le feutré, l'écriture fine, l'aspect ethnologique, tout ça, c'est bien joli, mais c'est supposé être un roman d'aventure, quelque part, et sur ce plan là, on en a bien plus pour son argent que dans le volume 1 des Mémoires de Lady Trent. Les excellentes descriptions, très prenantes, de l'Enfer Vert, participent d'ailleurs à établir une fort agréable atmosphère n'étant pas si éloignée de certaines références du genre. Et la profonde différence, le contraste, entre le début du livre (qui se passe dans un cadre urbain et civilisé, que ce soit au Scirland ou au Bayembé) et sa suite, dans la jungle et les marais, participe fortement (et habilement) à frapper de plein fouet l'imagination du lecteur.

- Des évolutions, certes, mais fondamentalement, le tome 2 est une copie du précédent

Fondamentalement, ce cycle est de la Fantasy of Manners (ou Manner Fantasy) : Isabelle a peut-être plus de libertés qu'elle n'en avait dans le tome 1, mais elle reste entravée par divers carcans sociaux, au Scirland, bien entendu, mais aussi au Bayembé, et même dans l'Enfer Vert. A chaque fois, pour pouvoir réaliser son désir (étudier les dragons, une véritable monomanie), elle est obligée de composer avec, voire de se plier à, des règles de bienséance, de courtoisie, de conduite, et ainsi de suite. D'où l'épisode du Gynécée pour les femmes ayant leurs règles, du rituel de purification anti-sorcellerie, et ainsi de suite. Donc, même si superficiellement on pense que ce n'est pas le cas, en réalité le tome 2 n'est, sur ce plan précis, pas si différent du premie : le personnage, pour avancer, doit se plier à ou contourner des règles / un cadre social rigide.

C'est encore plus sensible au niveau de l'intrigue : même si elle est moins simple (voire simpliste), il n'en reste pas moins qu'une fois encore, Isabelle va aller dans un pays lointain étudier les dragons locaux, qu'elle va par hasard mettre les pieds dans une affaire ayant potentiellement de vastes répercussions, et découvrir au passage un point-clef sur les dragons (locaux ou en général). Sur ce plan là également, ce tome 2 est exactement semblable au 1.

Encore pire : le gros défaut du tome 1 était que le seul personnage d'Isabelle parasitait en quelque sorte absolument tous les autres, qui n'avaient alors au mieux qu'un statut de faire-valoir et, au pire, la consistance d'un ectoplasme. Je me demandais alors s'il s'agissait d'un défaut d'écriture de Marie Brennan ou d'une conséquence de la jeunesse et de l'enthousiasme d'une Isabelle de 19 ans, qui, toute accaparée par ses dragons, ne se préoccupait pas des autres, ce qui fait que l'auteure ne les développait pas plus qu'il n'était nécessaire. A l'issue de la lecture du tome 2, j'ai peur d'avoir ma réponse : les personnages secondaires sont toujours des spectres, que ce soit ceux déjà connus Wilker, Hilford) ou les nouveaux (Nathalie). Même les deux demi-antagonistes (le Lord qui vole la formule chimique au Scirland et Velloin, le chasseur) ne bénéficient que d'un très vague traitement de faveur, du moins pour le deuxième.

- En conclusion

Si ce tome 2 propose un univers plus étoffé (notamment via un solide contexte géopolitique), un personnage principal plus libre de ses mouvements (sur certains plans), plus d'action et une description très réussie et prenante d'une pseudo-Afrique de Fantasy, il n'en reste pas moins que sur le plan de la structure de l'intrigue, il n'est qu'une copie du tome 1, dont il conserve malheureusement le plus gros défaut : des personnages secondaires ectoplasmiques.

Malgré tout, j'ai pris plaisir à suivre ces nouvelles aventures de Lady Trent, et j'embarquerai sans le moindre doute avec elle dans son voyage autour du monde dans le tome 3.

Lien : https://lecultedapophis.word..
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