On ne sait pas si Philip avait déjà suivi une femme au petit bonheur pendant ses balades à travers la ville, s'il s'adonnait consciemment et intentionnellement à ce jeu interdit. Car c'était défendu, peut-être pas au regard de la loi, mais des bonnes mœurs. Même si la fille ne remarquait pas son poursuivant, c'était inconvenant, du harcèlement, et si Philip voulait justifier son acte, il ne devait pas tarder, à la première occasion, à se faire connaître. Rester dans l'ombre d'une femme, l'étudier en cachette, contempler son corps, ses mouvements tandis qu'elle faisait ses courses, se délecter de sa candeur était peut-être fascinant, mais c'était dépravé et ça ne se faisait pas.
Il vit les gens avec lesquels il partageait la ville, vit les hommes d’affaires aux joues rasées, les secrétaires dans la fraîcheur de la fin de journée, chargées de camelote chinoise dont elles garniraient leurs piaules en banlieue, vit le bonheur sur leurs visages. Il sentit les adolescents qui puaient la taurine et le sperme, vit leurs yeux pleins d’espoir, enivré d’illusions – ils ne savaient pas qu’ils étaient pris au piège depuis longtemps, asservis depuis longtemps aux contrats de crédit. Et il vit une caissière grassouillette pendant sa pause cigarette, vit sa peau suiffeuse et sentit son désir insatisfait dont seul un doigt manucuré, le sien, la délivrerait momentanément ; il la vit piquer furtivement, entre deux bouffées, des pralines italiennes à la liqueur dans les poches de son tablier en polyester et les glisser dans sa bouche – pour soudain, en sentant le goût du filtre brûlé, sortir de son rêve éveillé et l’écraser comme le mégot de sa cigarette terminée.