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Critique de Apoapo


C'est certainement une gageure de s'atteler à la biographie d'un personnage frappé par la damnatio memoriae : le biographe doit-il s'interdire toute sympathie pour son sujet d'étude ? Peut-il néanmoins en souligner l'importance et la pérennité (ou l'actualité), au moins pour justifier son propre intérêt et son travail ? Doit-il nécessairement condamner – au moins avec le regard d'un moderne – ou absoudre, en invoquant le fameux zeitgeist ? Réponse dans ce livre très agréable à lire : l'humour !
Francis Galton, le cousin maudit de Charles Darwin, qu'il tenait en grande estime et qu'il jalousa sans doute toute la vie, n'est connu aujourd'hui que comme le père de l'eugénisme, jusque dans sa version la plus abjecte consistant dans l'ambition d'améliorer la « race » humaine en légiférant sur la promotion de certaines unions et l'interdiction d'autres. Mais nous lui devons aussi les représentations des cartes météorologiques modernes avec la notion d'anticyclone, des avancés topographiques fondamentales qui déterminèrent irréversiblement la façon d'entreprendre les explorations géographiques et la cartographie, les premiers progrès de la statistique conçue mathématiquement, y compris le concept de corrélation, la diffusion en criminologie des empreintes digitales, parmi une foison d'autres mensurations anthropométriques absolument futiles, ainsi qu'une foultitude d'« inventions » aussi ridicules que fantaisistes, dont une machine à prolonger la concentration du chercheur, basée sur l'égouttement d'eau froide dans le col de la chemise dudit, ou une cartographie des îles britanniques en fonction de la concentration des charmes des demoiselles y résidant : stéréotype du « savant touche-à-tout », prototype de l'homme qui trouve un moyen et une utilité à tout compter, tout mesurer, tout mettre en formule mathématique, qui à l'évidence lui a survécu encore longtemps, si l'on pense au professeur Tournesol d'Hergé, avec qui il partage jusque la surdité, mais pas du tout le racisme, l'élitisme, l'opportunisme ni vraiment la fidélité en amitié.
Il serait facile de psychologiser ou « sociologiser » sur Galton : enfant très précoce, il fut soumis et se soumit à un idéal « d'éminence » intellectuelle à laquelle il ne parvint jamais, et rechercha dans l'hérédité une compensation à cette insuffisance propre en faisant appel à ses propres aïeux et ensuite à l'alliance avec la famille de son épouse. Il abandonna une formation en médecine, échoua dans des études d'excellence en mathématiques à Cambridge, en y perdant en partie sa santé, sut se faire passer pour le plus illustre des géographes suite à une seule expédition en Afrique, fut surtout extrêmement habile à se tisser un réseau d'influences mondaines, se consacra à l'eugénisme en relation évidente de rivalité – après une courte tentative de collaboration – avec Charles Darwin, mesura des crânes et des fronts et des arêtes de nez, très fier du volume de son propre cerveau, et enfin s'occupa d'amélioration de la « race » sans avoir lui-même eu d'enfant. Sociologiquement, il représenta le Victorien promoteur par excellence du progrès par la science, dans une société qui s'émancipait du sacré, doublé d'un héritier qui devait justifier par le conservatisme de sa lignée à la fois sa position sociale de rentier et sa suprématie intellectuelle. L'hérédité de Galton, c'est l'assise scientifique du statu quo politique et des privilèges afférents.
Le mérite principal de cette biographie, c'est, sans jamais se départir de l'humour, de ne jamais verser dans la caricature, et même de suggérer, avec le sourire, une figure qui pourrait être assez tragique, éventuellement infléchie par quelques doutes sur le tard, comme les révèlent ses tout derniers mots proférés quelques instants avant de mourir : « One must learn to suffer and not complain. »
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