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Critique de Sofiert


La très belle édition du roman de Glen James Brown paru au Royaume-Uni en 2018, m'a été proposée par les éditions du Typhon dans le cadre d'une Masse Critique et je les en remercie.
Ironopolis ( ville du fer) est le surnom donné à une ville industrielle fictive inspirée de Middlesbrough, où " plus de 40 000 personnes dans la fleur de l'âge travaillaient dans les forges". Cette ville ouvrière construite à la fin de la guerre se compose essentiellement de logements sociaux, soit en lotissements, soit en tours d'appartements et la plupart se sont rapidement dégradés. Mais les habitants sont attachés à ces logements, que certains ont réussi à acheter et les propositions de rachat par des promoteurs immobiliers sont accueillis avec beaucoup de suspicion. Des groupes de résistance à la gentrification s'organisent dans certains quartiers avec des représentations théâtrales, mais la destruction d'Ironopolis est programmée et irréversible.

Autour de cette ville sidérurgique détruite par le thatchérisme, le roman se compose de six témoignages de trois générations, couvrant cinq décennies de la vie de ces quartiers ouvriers et de ces habitants qui doivent survivre au déclin industriel et au chômage.
On perçoit chez l'auteur la nostalgie d'une ancienne solidarité ouvrière mais aussi la volonté de représenter sans fard la délinquance et la misère au quotidien.
Il évoque ainsi les rivalités idiotes entre les habitants des différents quartiers, les installations hydrauliques abandonnées où jouent les enfants, les appartements délabrés utilisés par les dealers et les petits commerces qui ferment les uns après les autres.

L'histoire qui ouvre le roman est épistolaire : il s'agit de la correspondance entre une femme âgée mourant d'un cancer et un marchand d'art qui tente de retrouver la trace d'Una Cruikshank, une artiste qui fut son amie d'enfance et dont l'art étrange, inspiré du folklore local, connaît un succès foudroyant.
A cette occasion, le lecteur fait la connaissance de Peg Prowler, une créature aquatique à la peau verdâtre qui a la réputation d'attirer dans les égouts puis dans la rivière les enfants indociles mais aussi les jeunes hommes dans la fleur de l'âge. Rendue célèbre grâce aux tableaux d'Una, la légende de Peg marque le roman d'une touche de réalisme magique tout en occupant une place dans chacune des histoires qui se succèdent.

Quelques uns des personnages du roman sont présents dans ce premier chapitre mais leurs récits vont s'entrecoiser et apporter toujours plus d'informations et toujours plus de perspectives.
La deuxième histoire présente Jim Clark, un adolescent homosexuel, adepte de films d'horreur qui va s'émanciper en découvrant la musique, les rave parties et la drogue. A la recherche de son identité, il va devenir pour les autres le monstre des films d'horreur qu'il affectionnait. A cause de Vincent, le caïd du quartier, il va être grièvement blessé mais aussi hanté en permanence par sa rencontre avec Peg. L'alcool, la drogue et l'addiction au jeu font partie du quotidien dans ces vies brisées mais les différentes voix narratives apportent une densité à ces personnages qui les éloignent de toute forme de misérabilisme.

De nombreux habitants sont conscients que l'abandon de leur ville correspond à une politique de laisser-faire, afin de pouvoir exproprier les habitants et récupérer le territoire.
" S'ils commencent à faire en sorte que les endroits comme ça redeviennent habitables, les gens vont vouloir rester et c'est la dernière chose qu'ils veulent. Pareil pour l'acierie. Ils auraient pu y mettre de l'argent, empêcher que ton Morris perde son boulot, mais ils veulent plus personne dans leurs papiers. Problème de quelqu'un d'autre. C'est une conspiration contre la classe ouvrière. "
Au vu de cette déclaration, on ne peut cependant pas réduire le roman à ses déclarations politiques ou à des descriptions sociologiques.
Le livre est bien davantage un monde fascinant et captivant, où des destins s'entremêlent sous le regard empathique et l'observation ironique de Glen James Brown.

Tous les personnages ont des défauts, dans certains cas des défauts assez graves, mais l'auteur tente de montrer leur version de l'histoire et de montrer comment ils sont, dans une large mesure, à la fois un produit de leurs gènes et, plus important encore, un produit de leur environnement. Certains d'entre eux appartiennent à la même famille, père et fils, frère et soeur, mari et femme mais leurs relations sont généralement difficiles car chacun lutte à sa façon pour survivre.

La manière dont Brown relie les différents fils narratifs et intrigues est impressionnante.
En s'appuyant sur une variété de méthodes narratives , notamment des lettres, des entretiens, des notes de bas de page mais aussi une narration classique à la 1ère personne , il crée une structure arachneenne dans laquelle tous les personnages s'imbriquent comme des pièces de puzzle. Sans la moindre confusion !


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