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Critique de Presence


Il s'agit du sixième tome dans la série "Criminal" d'Ed Brubaker (scenario) et Sean Phillips (illustrations). Cette histoire de 2011 est complètement indépendante des précédentes. le tome d'avant s'appelle Pauvres pêcheurs.

L'histoire se déroule en 1982. Riley Richards s'apprête à prendre le train pour se rendre à Brookview, sa ville natale, une petite ville de campagne. Son père vient d'être hospitalisé à cause d'un cancer de l'estomac ; il se rend à son chevet, et va soutenir sa mère. Ça fait 5 ans qu'il n'a pas remis les pieds à Brookview. Avant de partir, il a dû informer l'homme de main du monsieur peu recommandable qui lui avance du fric pour s'offrir quelques plaisirs interdits (jeux de dés, prostituées) et le rassurer sur le fait qu'il serait de retour rapidement pour s'acquitter de ses dettes. Il a découvert il y a peu de temps que Felicity (sa femme) le trompe avec Teddy Markam, un ancien camarade qui a également vécu à Brookview. Sur place il retrouve Vladmir Frykowski (surnommé Freakout), un ex-junky. Riley Richards n'en peut plus de sa vie. Il souhaite y apporter un changement radical.

Cette fois-ci Ed Brubaker prend ses distances vis-à-vis de la métropole et il envoie promener son personnage principal dans une petite ville pendant la moitié du temps. le récit est narré du point de vue de Riley Richards, sans narrateur omniscient. le retour dans sa ville natale est l'occasion pour Richards de se souvenir de son enfance et de son adolescence. À cette occasion, Phillips rend hommage aux Archie Comics (en anglais) en calquant son style graphique dessus. Il y a donc de ci de là des pages dessinées dans le style enfantin, bien rond, et simplifié, pour publication destinée à la jeunesse. Au départ ce choix ressort comme un simple artifice destiné à attirer l'attention du lecteur et à introduire un peu de variété dans les images. Il faut plusieurs pages pour finir par découvrir que le recours à ce style sert également de commentaire sur la nature de la mémoire de Riley Richards.

Pour le reste, le lecteur retrouve le style habituel de Sean Phillips sur cette série. Il s'agit de graphismes résolument adultes, marqués par un encrage parfois appuyé sur les visages ou des ombres marquées par des aplats de noir. Phillips conserve cette manière de rendre les visages un peu brut, éloigné des canons de l'esthétisme, avec un léger aspect esquissé. du coup les individus apparaissent plus complexes, plus difficiles à cerner. Leurs expressions s'emplissent de sous-entendus et de non-dits.

Sean Phillips apporte toujours un soin particulier aux décors. Lors du voyage dans le train, le lecteur reconnaît une disposition réaliste des sièges, ainsi que l'étroitesse du couloir pour circuler. Arrivé à Brookview, la ville dispose d'un petit cachet suranné, sans pour autant devenir une ville fantasmée figée dans les années 1950. La chambre de Richards est restée telle qu'il l'a quittée, sans que le lecteur n'ait l'impression de contempler les mêmes objets stéréotypés et factices des chambres d'étudiants de série télévisée américaine. Même la cafétéria où Richards retrouve ses amis n'est pas idéalisée. L'encrage mesuré de Phillips lui confère de la substance, ainsi qu'une forme d'usure liée à la fréquentation. Enfin, il rend hommage avec talent au style caractéristique des comics Archie.

Les couleurs ont été réalisées par Val Staples et Dave Stewart. le premier a diminué les contrastes de couleurs trop criant, un peu gênant dans le tome précédant, le deuxième réalise un travail tout en évidences pour les scènes de remémoration.

Ed Brubaker propose donc au lecteur de partager le quotidien de Riley Richards, un individu qui gagne bien sa vie, qui a un ou deux vices qui ne relève pas de la criminalité, une épouse vraiment canon et un beau père un peu cassant. le lecteur découvre quelques pans de la vie de Richards, en particulier les éléments qui lui pèsent le plus. Il contemple également quelques moments de sa vie à Brookview à la fois avec l'intensité propre à la jeunesse dans les pages à la façon des comics Archie, à la fois avec le recul et l'amertume de l'adulte qu'est devenu Riley Richards. Cette narration permet au personnage principal d'acquérir une densité impressionnante. le lecteur peut éprouver tout à la fois de l'empathie et du dégoût pour cet individu particulier, mais qui n'est pas un monstre.

Tranquillement le lecteur plonge dans la peau de Riley Richards, découvre les relations affectives et les histoires qui le lient à autrui (sa femme, ses anciens camarades). Mais il est impossible de deviner longtemps à l'avance où l'histoire va emmener le lecteur. Cette série ne s'intitule pas "Criminel" pour rien et les histoires précédentes ont permis de constater que certains personnages perdent, mais que d'autres peuvent gagner. Parmi tous les individus qui gravitent autour de Riley Richards, difficile de prédire qui va trinquer ou qui va bénéficier de ses agissements. Difficile également de déterminer l'issue finale pour Richards.

Avec cette histoire, Brubaker et Phillis proposent un vrai roman noir raconté sous la forme d'une vraie bande dessinée, très intelligemment mise en scène. Ils sont les dignes héritiers de Jim Thompson.
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