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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Seul contre tous (épisodes 1 à 6) et il constitue la deuxième moitié de la première saison. Il comprend les épisodes 7 à 12, initialement paus en 2003/2004.

Holden Carver (Conductor) est maintenant bien installé dans l'organisation de Tao (un de ses 3 seconds les plus proches) et il a noué une relation durable (un peu particulière) avec Gretchen MacDonald (Miss Misery). Mais un soir, près d'un de ses lieux de résidence, il découvre le signal que quelqu'un d'IO (le service de contre-espionnage pour le compte duquel il a infiltré l'équipe de Tao) souhaite prendre contact avec lui. Impossible ! La seule personne au courant de sa mission (John Lynch) est toujours dans le coma. Carver se rend au rendez-vous, sans se montrer pour découvrir l'identité de ce contact inespéré (à moins qu'il ne s'agisse d'un piège tendu par Tao). Au sein de l'organisation, il doit toujours se défier de Peter Grimm convaincu qu'il cache quelque chose. Or l'une des taupes de Tao (au sein d'IO) apprend qu'il y aurait une taupe dans l'organisation de Tao.

Ed Brubaker se montre d'une habilité surnaturelle pour raconter son histoire. Il continue d'utiliser avec modération le flux de pensées intérieur de Carver pour faire passer les sentiments et les émotions du personnage, et expliciter les risques qu'il estime courir. La force de Brubaker réside dans sa capacité à concocter un récit d'espionnage, avec agent double (ou peut-être triple), incertitude quant à l'allégeance réelle de quelques uns, motifs indiscernables de Tao, plan de secours, situations intenables, sans jamais perdre le lecteur. Dans ce monde d'agents secrets, le lecteur n'a jamais besoin de retourner en arrière pour se souvenir de qui est quel personnage, ou quelle est son allégeance réelle ou feinte. le récit reste toujours intelligible et d'une limpidité exemplaire. Les personnages n'ont pas besoin de se parler à eux-mêmes et à haute voix pour expliquer la nature des risques potentiels qu'ils encourent.

Tout aussi remarquable, cette narration limpide n'est pas synonyme de superficialité ou de simplisme. L'histoire est dense, le suspense aussi. Ed Brubaker intègre les machinations des uns et des autres dans des intrigues directement liées à la position intenable de Carver, mais aussi aux agissements de Tao. Alors que le lecteur serait en droit de craindre que l'absence de lisibilité dans les objectifs de Tao rende cette partie du récit artificielle ou absconse, elle permet au contraire de montrer que Carver est un simple exécutant sur un échiquier, déplacé puis abandonné comme un pion par Lynch. Carver continue également de s'interroger sur ce qu'il est vraiment. Il ne fait plus qu'exécuter les missions (y compris les meurtres) commanditées par Tao. Il doit accepter qu'il soit devenu ce qu'il voulait combattre, sans espoir de pouvoir s'en sortir. Comme dans les meilleurs romans d'espionnage, Brubaker montre comment le personnage principal est changé par les actions qu'il effectue, comment l'écart se creuse entre ce qu'il est vraiment (par ses actions), et la façon dont il se conçoit (dans son esprit). Les amateurs de l'univers partagé Wildstorm auront le plaisir de retrouver un personnage connu : Marc Slayton (Backlash), superhéros ayant fait partie de Team 0, Team 1 et Team 7, et apparu pour la première fois dans la série Stormwatch.

Il revient à Sean Phillips de donner corps à cette ambiance paranoïaque, de rendre intéressant visuellement les dialogues et de créer des endroits plausibles pour ces rencontres clandestines. Il utilise un style sans fioriture à destination des adultes. Il ne cherche pas à faire joli, les visages sont mangés par des zones de noir anguleuses, représentés par quelques traits grossiers et rapides. Les rares lignes bien courbes sont celles qui délimitent la silhouette de Gretchen MacDonald. La violence est sèche et rapide, sans glorification, sans attrait romantique. Les scènes d'acquisition de superpouvoirs (pour Byron Jones et Tao) sont dans un style plus simple, sans aplats de noir, créant une distance sarcastique avec ce que raconte le personnage. Alors que les visages donnent l'impression d'être esquissés vite fait, le lecteur se rend compte que les traits de Phillips sont précis puisqu'ils arrivent à bien transcrire les émotions des personnages, ajoutant des informations visuelles sur leur état d'esprit. Il reste quand même quelques scènes de dialogues où Phillips n'est pas loin de se cantonner à des cases comprenant uniquement des têtes parlantes. Mais globalement, l'ambiance noire et oppressante est bien là, rendant compte de l'impossibilité pour les protagonistes, de savoir vraiment ce que pense ou ce que va faire son vis-à-vis.

Cette deuxième moitié de la première saison est à la hauteur de la première et elle ne déçoit en rien. Ed Brubaker sert de guide épatant pour une plongée dans les eaux troubles du contre-espionnage à haut risque, avec une évolution inéluctable de l'état d'esprit du personnage principal dont les convictions sont mises à mal. Sean Phillips utilise un vocabulaire visuel qui permet au lecteur de s'enfoncer dans le quotidien anxiogène d'Holden Carver, entouré de personnages aux motifs indiscernables, à l'animosité masquée mais indubitable. Les épreuves d'Holden Carver se poursuivent dans Une ligne brisée (saison 2, épisodes 1 à 6).
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